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mais le regard est hardi, et la peinture semble déjà un peu vague et lâchée. La voilà enfin, tenant un enfant nu dans ses bras; toujours jeune, quoique pâlie et visiblement fatiguée par les épreuves répétées de la maternité. Cette fois la peinture est soignée, mais l’exécution manque de franchise, la main paraît moins sûre; le corps de l’enfant est comme soufflé, d’un modelé indécis et pénible. Les deux premiers portraits d’Hélène étaient des chefs-d’œuvre; ces deux derniers sont, pour Rubens, des œuvres plus qu’ordinaires, — œuvres significatives cependant et qui éclairent d’un singulier jour la fin de cette heureuse existence. L’admirable portrait du Belvédère, qui nous montre Rubens lui-même à ce moment de sa vie, leur prêterait un saisissant commentaire. Ce n’est plus le cavalier à la fière tournure, aux allures élégantes; la vieillesse est venue tout d’un coup, définitive, implacable. La physionomie est restée douce, bienveillante et fine; mais les traits amincis dénotent une extrême lassitude : la goutte, avec ses souffrances, y a creusé des plis, les chairs sont molles, le regard est attristé, éteint. Noble peinture d’ailleurs, d’une touchante expression et sincère autant qu’il est possible, ouvrage d’un homme qui voit où il en est, où il va. Pauvre grand homme, qui, après cette vie jusque-là si bien conduite, apprenait à ses dépens qu’on n’oublie pas impunément son âge et que le génie lui-même ne remplace pas la jeunesse!

Mais n’insistons pas : il ne nous conviendrait guère de quitter Rubens sur une pareille impression. Restons au musée de Munich, c’est lui qui va nous offrir l’œuvre exquise, précieuse à bien des égards, après laquelle il nous sera permis de prendre congé du maître. Nous sommes chez lui, presqu’au lendemain de son second mariage, dans un joli jardin attenant à sa demeure. Il est coiffé de son chapeau à larges bords, vêtu d’un pourpoint noir rayé de gris. A voir sa tête intelligente et fine, sa moustache retroussée et la distinction de sa tournure, on le prendrait pour un jeune homme, mais déjà quelques fils d’argent se mêlent à sa barbe blonde. Son bras est passé sous celui d’Hélène; elle est adorable ainsi, dans tout l’éclat de ses seize ans, sous un ample chapeau de paille entouré d’une guirlande de fleurs. Ses cheveux répandus flottent autour d’elle comme une moisson dorée. C’est tout à fait une enfant, un peu trapue encore et qui sans doute a grandi après son mariage. Toujours le corsage noir qui laisse paraître la chemisette; la jupe jaune pâle est retroussée sur un dessous gris; elle tient à la main un éventail de plumes, et porte un collier de perles qui fait ressortir sa fraîche carnation. Avec un geste délicieux, elle se retourne à demi vers un jeune garçon entièrement vêtu de rouge, de ce beau rouge franc que le peintre savait si bien manier. Pour qui a vu les portraits de