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l’entière liberté de cette magnifique exécution. Les nombreuses esquisses que possède le musée de Munich (il n’y en a pas moins de vingt-huit) nous montrent à quel point cette liberté est légitimement acquise par un ensemble de travaux préparatoires, concertés en vue du résultat. Alors même qu’il paraît s’abandonner à la brillante spontanéité de sa nature, Rubens procède avec une méthode parfaite, et ne laisse rien au hasard; à l’avance, il a décomposé son travail, il en a prévu les états successifs.

Les ébauches de la Pinacothèque, en nous faisant pénétrer dans l’intimité du talent de Rubens, nous permettent en quelque sorte d’assister à l’éclosion de ses œuvres. Comme tous les degrés d’avancement y sont représentés, le but distinct assise aux diverses étapes ainsi parcourues est nettement marqué pour chacune d’elles. Ici, le bois est à peine couvert d’un léger frottis monochrome, mais l’effet général est déjà assuré; là, les nuances sont réparties, mais faibles encore et presque toutes de valeur égale entre elles : à côté enfin, tout a été réglé, et, avec quelques rehauts plus vifs et plus francs, le peintre a résolu les accords de détail au profit d’une harmonie dominante. Comprenez-vous maintenant sa liberté, la vie, la chaleur soutenue de sa facture alors qu’il abordera sa tâche définitive? Il a opéré méthodiquement la division de son travail; il sait clairement ce qu’il veut, et, sans repentir, sans fatigue, en pleine possession de ses moyens, il peut marcher droit vers le résultat. Alors, dans son allure rapide, on pourra signaler parfois des indications trop sommaires ou des inégalités bien concevables, mais du moins un même souffle animera l’ensemble et sauvera souvent ce que les détails ont de défectueux. N’est-il point satisfait d’ailleurs, ne croyez pas qu’il se fatigue à corriger son œuvre et qu’il en vienne à dévier peu à peu de sa pensée première, prenant, chemin faisant, avec la satiété de son travail et la méfiance de soi-même, toute idée nouvelle pour une idée meilleure. Au lieu de s’épuiser ainsi en de vaines obstinations, il remaniera sa composition pour lui donner une autre forme, et avec l’expérience de ses précédentes tentatives il réparera ses fautes.

Outre plusieurs autres ébauches telles que l’Adoration des Mages et l’Assomption de la Vierge, le musée de Munich nous offre la série à peu près complète des esquisses faites pour la galerie de Médicis. La seule de ces esquisses que possède le Louvre, acquise à la vente d’Ary Scheffer, nous montre l’intérêt que présente cette précieuse collection, qui permet de suivre pas à pas le maître dans son travail, et de comparer le premier jet de sa pensée à son œuvre définitive. Il faut le reconnaître pourtant, les modifications que ces ébauches ont subies, souvent utiles et même nécessaires, ne sont