Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là par hasard ou avec intention, » qu’aurait dit ce sincère et fin critique en face des portraits de Rubens que nous offre le musée de Munich? Ce ne serait pas cependant, tout important qu’il soit, le grand portrait de la comtesse d’Arundel qui nous servirait d’argument. La peinture est de choix sans doute, délicatement suivie, étudiée avec conscience, avec trop de conscience peut-être, puisqu’elle a gardé je ne sais quel air de contrainte. On sent que le peintre s’y est appliqué, qu’il a voulu faire de son mieux, mais il n’a pas osé donner à son travail cette libre allure, ni ces accens décisifs que moins respectueux de son modèle il eût sans doute rencontrés. Rubens timide, le fait est assez rare pour mériter d’être noté, tandis que bien souvent on serait tenté de le trouver trop audacieux. Mais nous avons ici des œuvres moins cherchées, et qui parlent plus éloquemment en sa faveur. D’abord ce Ferdinand d’Espagne, un grand garçon en habit de cardinal, œil clair et lèvre épaisse, figure naïve et d’une personnalité déjà plus complètement accusée; puis cette tête de jeune homme coiffé d’une barrette noire, et dans laquelle l’ampleur du faire ne nuit en rien à l’expression intime de la vie.

Voici pourtant des ouvrages plus parfaits. C’est assurément pour son propre plaisir que Rubens a peint ce docteur Van Thulden, parent d’un de ses meilleurs élèves, et surtout ce savant vêtu de noir, avec une collerette blanche qui encadre son visage vermeil. La moustache et la barbe grisonnent, mais avec ses soixante-cinq ans, quel air de belle humeur, quelle verdeur de santé! O la bonne et honnête figure! Ce savant-là n’a rien d’austère, et, si les Commentaires de César et les œuvres de Cicéron sont à portée, rangés sur un rayon contre la muraille, quelque bouteille n’est pas loin sans doute. La fraîcheur du teint, l’œil vif et humide, le nez un peu rubicond, tout annonce le bon vivant. Il n’a cependant rien de vulgaire, et ce brave compagnon saura, à l’occasion, faire à Rubens une de ces solides lectures, telles qu’il les aime; pour n’être point pédante, sa conversation ne laisse pas d’être instructive : il sait bien des choses, il les sait, et les communique gaîment. Le grand peintre, qui se plaît à son commerce, a fait asseoir là son ami, pas bien longtemps, mais assez cependant pour que le caractère et la ressemblance du personnage fussent nettement exprimés, assez pour produire un de ces chefs-d’œuvre qui ne craignent aucune comparaison et qui tiendraient dignement leur place dans toutes les compagnies. Comptez qu’à Vienne, au Belvédère, à la galerie Lichtenstein, dans d’autres collections encore, comptez qu’ici même, tout à l’heure, nous aurons à vous en signaler d’autres, de valeur au moins égale et dont le charme d’intimité augmentera pour nous le prix.