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entre les chairs rouges des héros et les chairs d’un blanc nacré des captives est un peu trop marquée; mais quels rapprochemens, quels passages charmans, quelle grâce dans la couleur! Comme les gris du cheval et les gris du ciel accompagnent heureusement les figures, comme le paysage avec son horizon bas et ses opulentes intonations soutient bien la scène et en fait valoir tous les élémens; avec quel à-propos enfin la silhouette est tour à tour découpée nettement ou doucement perdue avec le fond! Le Sénèque mourant, debout, les veines ouvertes, nous montre une tout autre gamme, grave, recueillie et parfaitement appropriée à cet austère sujet. Avec cette Ronde d’enfans, bambins roses, sourians et dodus qui plient sous le poids d’une guirlande de beaux fruits, nous retrouvons toutes les souplesses du dessin et toutes les gaîtés de la palette de Rubens. C’est l’automne et la magnificence de ses harmonies qu’il nous offre dans cette Marche du vieux Silène, vacillant, repu, entouré de ses compagnons, fort incapables de le soutenir. La violence des intonations est ici atténuée par la hardiesse des reflets et le chatoiement des carnations moites et luisantes. Les deux faunillons suspendus aux mamelles de la faunesse du premier plan sont admirables d’exécution avec leurs petits corps fermes, potelés, gonflés et gorgés de lait et déjà tout pleins d’une sève exubérante.

Chez Rubens, tout est prétexte à tableau. Il ne pouvait se résigner a copier froidement des animaux. A-t-il sous les yeux quelque bête féroce, réduite au piteux séjour d’une ménagerie, son imagination la replace aussitôt dans son vrai milieu, et il met en action les ressorts d’acier de ses membres alanguis par l’étroite captivité de la cage. Ces griffes déchireront des chairs; ces dents broieront des os; il fera bondir ces corps souples et nerveux, et alors, avec des rugissemens et des craquemens sinistres, avec des plaies qui saignent et des visages déjà pâlis par la mort, il peindra les effaremens, les épouvantes et les acharnemens dramatiques de cette Chasse aux lions, dans laquelle, comme le catalogue le remarque si judicieusement en son style tudesque, « pour les chasseurs à pied et à cheval, le danger est monté au point suprême. » Et n’allez pas croire que Snyders ait pu peindre ces terribles animaux; ce tableau, destiné « au sérénissime duc de Bavière, » est tout entier de la main de Rubens, c’est lui-même qui nous l’apprend.

Ce même homme, que nous venons de voir couvrant les plus vastes toiles avec une fougue et une possession de soi-même qui ne se démentent pas un seul instant, nous le retrouvons dans un des cabinets voisins proportionnant sa facture à des œuvres de moindres dimensions et qui appartiennent pour la plupart à la dernière période de sa vie, alors que, souffrant de la goutte, il avait dû se