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en 1826, à l’ombre même du trône impérial, une administration nouvelle, spécialement chargée de la police secrète. Ce fut la troisième section de la chancellerie impériale, aujourd’hui encore existante, aujourd’hui encore la plus haute autorité de l’empire. Sous ce nom modeste de troisième section, la police secrète forme un véritable ministère indépendant de tous les autres, et, à bien des égards, leur supérieur. Sous ce nom innocent fut rétablie et agrandie l’ancienne inquisition d’état, toute-puissante sous les prédécesseurs comme sous les successeurs de Pierre le Grand, et officiellement abolie par l’infortuné Pierre III.

Depuis cette création de l’empereur Nicolas, la Russie a constamment vécu sous une loi de sûreté générale. La troisième section est maîtresse d’arrêter, d’interner, de déporter, de faire disparaître qui bon lui semble. Les réformes de l’empereur Alexandre II semblaient devoir mettre fin au règne de la police secrète. Pendant une dizaine d’années le lustre de la troisième section parut terni à jamais; en 1866, l’attentat de l’étudiant Karakosof sur le tsar Alexandre rendit à l’institution favorite de l’empereur Nicolas tout son ancien éclat. La direction de la troisième section fut alors confiée au comte P. Schouvalof, depuis lors regardé comme l’homme le plus influent de l’empire, aujourd’hui ambassadeur à Londres et demain peut-être chancelier. C’est un signe en effet de l’état politique de la Russie qu’un des postes les plus considérables et les plus considérés est celui de chef de la police secrète, de chef des gendarmes. Le chef de la troisième section est d’ordinaire l’homme de confiance du souverain, il n’est pas surprenant qu’il puisse être employé dans les négociations diplomatiques les plus délicates, comme dans les affaires les plus intimes de la famille impériale[1].

Le chef de la troisième section est de droit membre du comité des ministres. Sous ses ordres est placé un corps d’officiers, le corps des gendarmes, qui en dehors du nom n’a rien de commun avec les gendarmes de France. Dans chaque chef-lieu de gouvernement, dans chaque ville de quelque importance, est un colonel ou un capitaine de gendarmerie, ne relevant que de la troisième section. Cet officier, dont la loi ne détermine ni ne limite les fonctions, porte

  1. Ces fonctions ont été successivement remplies par le conte Benckendorf, frère de la célèbre princesse Lieven, le comte, depuis prince Orlof, représentant de la Russie au congrès de Paris et père de l’ambassadeur actuel du tsar en France, le prince Vassili Dolgoroukof, le comte P. Schouvalof, et aujourd’hui enfin par le général Potapof. Sur le rôle de ces divers personnages, voyez Aus der Petersburger Gesellchaft von einem Russen, ouvrage anonyme récemment publié en français sous le titre de la Société russe par un Russe, dans une traduction malheureusement déshonorée par des fautes d’impression qui rendent la plupart des noms propres méconnaissables. (Paris, Maurice Dreyfous, 2 vol., 1877.)