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ter que de la laine ; mais don Gaspar savait-il qu’elle fût béate ? Traversé par un coup d’épée, était-il en état de se rappeler quelle étoffe elle pouvait porter ? Ce legs parut suspect, et la justice y attacha beaucoup d’importance. On crut, ou peut-être on feignit de croire qu’il s’agissait d’un fidéicommis destiné à une femme que le mourant n’avait pas voulu nommer. Quant à la béate, elle dit avec beaucoup de vraisemblance qu’elle ne connaissait pas don Gaspar de Ezpeleta, qu’il ne lui avait fait aucune confidence, et qu’elle supposait qu’en lui léguant une robe il avait voulu reconnaître les soins qu’elle lui avait donnés. En effet, habituée à servir les malades, elle ne l’avait pas quitté depuis qu’il avait été porté dans sa maison. Mme Garibay, qui était fort considérée comme veuve du célèbre annaliste, s’empressa de déclarer qu’elle tenait doña Magdalena pour une personne de bonnes vie et mœurs et une grande servante de Dieu.

La justice verbalisa, comme on peut le supposer, et par provision fit arrêter tous les habitans de la maison où don Gaspar était mort. Cependant Garibay, grâce à son caractère religieux, fut mis presque aussitôt en liberté. Les femmes, après un interrogatoire très court, obtinrent de demeurer dans leur logis sous la garde d’un alguazil. Cervantes seul, sans qu’aucune charge ne fût aniculée contre lui, fut tenu en prison pendant plusieurs jours, et on fit comparaître un assez grand nombre de personnes qui venaient habituellement chez lui. D’après leurs dépositions, on voit que la plupart allaient le consulter pour leurs affaires ; il tenait donc alors une sorte de cabinet de consultation.

Il semble évident que cette étrange procédure avait pour but, non de découvrir le meurtrier d’Ezpeleta, mais de détourner les soupçons du public loin de la véritable voie, pour les faire tomber sur une famille pauvre et sans protecteurs. On voulait faire croire que la sérénade et le duel qui en avait été la suite regardaient la filîe ou la nièce de Cervantes, les seules jeunes femmes qui habitaient sa maison. Rien ne prouva cependant qu’elles connussent don Gaspar, et ceux qui croyaient être instruits des habitudes de ce cavalier disaient qu’il allait à un rendez-vous chez la femme d’un riche procureur. D’autres voulaient que ce fût chez une dame dont le mari remplissait une charge importante à la cour. Les deux suppositions expliqueraient assez bien la façon dont l’instruction fut conduite. Dans sa déposition, doña Isabel de Saavedra déclara qu’elle était âgée de vingt ans, et c’est là-dessus qu’on a attaqué les mœurs de Cervantes, qui, l’année même de son mariage, aurait eu une fille naturelle. Nous n’admettions pas la légende qui croit à un amour romanesque des deux conjoints, et qui fait de la légitime Mme de Cervantes le type original de la Galatée : nous n’attaquerons