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rues. Peut-être est-ce à partir de la Numancia et de la Confusa que s’établit la division en trois journées, et qu’elle devint une sorte de règle dont il ne fut plus permis de s’écarter.

Selon toute apparence, Cervantes demandait au théâtre plutôt les moyens de faire vivre sa famille que la gloire littéraire. La rapidité avec laquelle il travaillait le témoigne assez. D’ailleurs tout en faisant de méchans vers il sollicitait une place et faisait agir ses amis. Ses prétentions étaient bien modestes. En 1587, il obtint un petit emploi dans l’administration des vivres de la guerre et de la marine, ou plutôt une commission temporaire qui lui rapportait douze réaux par jour. Il dut quitter Madrid pour se rendre à Séville et se mettre aux ordres de l’alcade Diego Valdivia, dont il devint l’agent principal. En cette qualité, il fit plusieurs voyages en Andalousie, soit pour acheter des blés, soit pour recouvrer des fonds dus au trésor royal. Le 22 janvier 1588, il reçut la patente de commissaire royal, délivrée par l’intendant général des armées, don A. Guevara. Ses fonctions ne paraissent pas avoir changé, mais sa position fut moins précaire, et peut-être augmenta-t-on ses appointemens. Par suite d’une mission dont on ne connaît pas bien la nature, mais qui évidemment se rattachait au service de l’intendance militaire, il passa en Afrique, et visita Mostaganem et Oran. Quelque temps après, il fut attaché à un autre intendant général, don Miguel de Oviedo. Cependant il sollicitait toujours et envoyait des placets au roi et à ses ministres. On a retrouvé un mémoire qu’il adressait à Philippe II pour obtenir un emploi en Amérique. Il demande particulièrement une des quatre places vacantes pour le moment, celle de contador mayor de la Nouvelle-Grenade, celle de gouverneur de la province de Soconuzco au Guatemala, celle de payeur de la marine à Carthagène, enfin celle de corrégidor de la ville de la Paz, au Pérou. On voit par la désignation de ces emplois que Cervantes se présentait comme ce qu’on appellerait aujourd’hui un financier, assez instruit d’ailleurs en matière de jurisprudence pour être corrégidor dans une ville du Nouveau-Monde. Alors il n’était pas trop nécessaire d’être un grand jurisconsulte pour exercer ces fonctions ; on était loin des juges et des avocats. La réponse faite à cette pétition par ordre du roi, peut-être même de sa main, car personne n’eut à un plus haut degré que Philippe II la manie d’annoter tous les papiers qui passaient sous ses yeux, fut dictée par une heureuse inspiration : « Voir à lui faire quelque faveur en ce pays-ci (en Espagne). » Si Cervantes fût allé en Amérique, il est peu probable qu’il eût fait le Don Quichotte. Cette faveur ainsi promise ne se trouva pas apparemment réalisée, car il était encore commissaire aux vivres en 1592. Il eut maille à partir avec la justice cette année-là. Accusé d’avoir vendu indûment, sans autorisation, trois cents fanègues de blé, il fut envoyé en pri-