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L’affaire ne fut terminée que le 29 septembre 1580, au moment même où Hassan-Aga allait partir, et lorsque Cervantes était déjà embarqué et enchaîné dans une des galères prêtes à faire voile pour Constantinople.

Devenu libre, il demeura encore deux mois à Alger, séjour qu’on a peine à s’expliquer. On a prétendu que Blanco de Paz, qui l’avait vendu au dey, l’avait dénoncé une seconde fois à l’Inquisition. Ce misérable se disait porteur d’une commission secrète du saint-office, et vraisemblablement tirait de l’argent par ce moyen des gens qu’il effrayait. Avant qu’on ne fût complètement édifié sur son compte, c’était un coquin très dangereux. Cervantes avait divulgué sa trahison, et parmi les captifs, rachetés ou non rachetés, quelques-uns avaient annoncé l’intention de la punir eux-mêmes, en le poignardant. De là, dit-on, sa haine contre Cervantes, et le peu d’empressement de ce dernier à retourner en Espagne. Il voulait, avant de partir, faire attester solennellement son courage et sa constance, surtout sa parfaite orthodoxie. En effet, dans une sorte d’enquête, qui s’est conservée, la plupart des témoins certifient que pendant tout le temps qu’il avait passé au bagne, non-seulement il avait toujours accompli exactement ses devoirs religieux, mais encore qu’il était parvenu à ramener au giron de l’église cinq jeunes renégats espagnols.

Muni de ce certificat, il revint en Espagne, et reprit son service dans le tercio de Figueroa, auquel il appartenait, et où il retrouva son frère Rodrigo. À cette époque, une partie de l’infanterie espagnole n’avait d’autres armes que l’épée et le bouclier, en sorte que la blessure de Cervantes ne le rendait pas absolument impropre au service. En 1581, les deux frères furent dirigés sur le Portugal, où Philippe II avait envoyé le duc d’AIbi avec une armée. La conquête de ce royaume était déjà faite, mais les îles Terceires tenaient encore pour le prieur de Crato, soutenu par une flotte française. L’amiral Valdez, chargé de les réduire, embarqua le tercio de Figueroa ; mais son expédition se borna à une reconnaissance. L’année suivante, elle fut reprise et confiée à un chef plus hardi et plus habile, don Alvar de Bazan, marquis de Santa-Cruz. Le 25 juillet 1582, Cervantes et son frère assistèrent au combat naval, où la flotte française fut complètement battue, en vue de l’île Saint-Michel, victoire malheureusement ternie par d’horribles cruautés. On sait que le marquis de Santa-Cruz fit massacrer ses prisonniers, entre autres Philippe Strozzi, l’amiral français, qui, blessé, mais encore vivant, fut jeté dans la mer.

Selon toute apparence, la flotte espagnole, après cet engagement meurtrier, n’était plus en état d’assaillir les Terceires. L’amiral de Philippe II alla se ravitailler en Espagne, et revint l’année suivante