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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

soit par l’appât d’une récompense, dénonça les captifs. On cerna le souterrain et on les reprit. Quelques-uns, dit-on, l’habitaient depuis sept mois.

Les Maures croyaient que le projet d’évasion avait été préparé par les pères de la Merci, chargés du rachat des captifs. Ils firent d’horribles menaces à leurs prisonniers pour qu’ils déclarassent quel avait été l’auteur du complot. Cervantes dit qu’il avait seul inventé et dirigé l’entreprise, et sa générosité et son audace produisirent quelque impression sur les barbares. Hassan-Aga, dey d’Alger, était le plus cruel des hommes. Chaque jour il commandait des exécutions sanglantes. Les tentatives d’évasion étaient punies par le pal, les crochets ou la bastonnade appliquée avec tant de brutalité que la mort était inévitable. Pourtant il ne fit subir à Cervantes aucun mauvais traitement, et il se contenta de l’envoyer au bagne et de recommander qu’on le surveillât avec soin, disant que tant qu’il tiendrait son manchot espagnol, il ne craindrait rien pour Alger. Beneficium latronis non occidere.

Quelque romanesque que puisse paraître l’aventure, elle n’en est pas moins attestée de la manière la plus authentique. Le bénédictin don Diego de Haedo la raconte dans son Histoire d’Alger d’après des renseignemens pris dans le pays, et elle est confirmée par une enquête juridique où furent entendus un assez grand nombre d’Espagnols, compagnons de Cervantes pendant sa captivité. Tous sont uaanimes pour témoigner de son courage, de son dévouement à ses camarades, de l’empire qu’il exerçait sur eux et même sur ses geôliers. Pauvre comme il était, il trouvait moyen de secourir ceux qui ne savaient pas comme lui résister à la misère.

Au bagne, Cervantes méditait toujours des plans d’évasion et faisait des vers. On a de lui une épître adressée à don Mateo Vazquez, ce favori de Philippe II, qui eut tant de part au procès intenté à Antonio Perez, à l’occasion de l’assassinat d’Escovedo. Cette pièce, qui n’a été publiée à notre connaissance qu’en 1862 dans la grande édition de l’Académie espagnole, a été découverte en manuscrit dans les archives du comte d’Altamira. Elle ne porte pas de date, mais, si on s’en rapporte à un passage où l’auteur dit qu’il sert le roi depuis dix ans, elle serait de 1579. Cervantes y raconte très simplement et très brièvement ses aventures depuis son entrée au service jusqu’à sa prise par les Algériens. Il conjure le roi de détruire le nid de pirates. « L’entreprise est facile. Il s’agit de détruire une bicoque mal pourvue d’armes et de défenseurs. Chaque jour, une foule de malheureux regardent à l’horizon, espérant y découvrir ta flotte… Prince, tu tiens la clé de la triste prison où meurent vingt mille chrétiens. » Le style de cette épître est presque exempt de ces concetti si recherchés alors et qui aujourd’hui nous