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chambre nécessairement excitée ; il a préféré attendre la lutte, sans songer que ce qui est possible un jour peut fort bien n’être plus possible le lendemain, et c’est ainsi qu’on s’est laissé gagner de vitesse par les incidens, par les manifestations, par cette proposition d’enquête qui a ressemblé à la préface d’une mise en accusation, qui a dans tous les cas ouvert avec violence les hostilités. C’est ainsi que s’est trouvé fatalement engagé le conflit qui était sans doute dans la nature des choses, qui ne pouvait être absolument évité, mais qu’une certaine prudence aurait pu atténuer et que les fautes des uns et des autres n’ont pas tardé à compliquer d’une manière sensible.

Des fautes, il y en a eu de toutes parts, c’est possible ; il y a eu des fautes d’emportement, des fautes d’irrésolution. La première, la plus sérieuse de toutes, a été que le ministère qui a conduit les affaires depuis le 16 mai n’ait pas cru devoir donner sa démission dès le lendemain de son éclatante défaite, au moins peu après et assez tôt pour qu’il restât une certaine liberté de choix et de combinaison. Il a mis du temps à ouvrir les yeux ; même après les avoir ouverts il a multiplié les fausses sorties, et par cette apparence d’opiniâtreté au pouvoir il a certainement pesé sur la situation au moment où le plus pressé était de la dégager : il est resté plus qu’il n’aurait fallu comme la représentation survivante d’une pensée de résistance, lorsque la résistance ne pouvait plus être qu’une menace extrême et irritante. Le ministère du 17 mai a cédé à un mouvement d’orgueil personnel, il a tenu à recevoir les premiers coups de cette proposition d’enquête parlementaire qui éclatait sur sa tête, il n’a fait que relever un défi, nous le voulons bien. Admettons, si l’on y tient, que M. le président du conseil ait été autorisé à ne consulter que sa dignité en refusant d’aller se défendre dans l’atmosphère plus favorable du sénat, en se présentant devant la chambre des députés elle-même. On lui a offert l’occasion, il l’a saisie résolument, et dans cette discussion ardente où la majorité a été représentée par M. Léon Renault, M. Jules Ferry, M. Gambetta, où M. de Fourtou a défendu son administration, où M. Baragnon a seul serré de près la question de l’enquête, dans cette discussion passionnée M. le duc de Broglie a eu un de ces succès de parole que son habileté sait conquérir. Il s’est donné le plaisir de tenir tête à ses adversaires, de déployer cet art raffiné et savant qui produit toujours son effet sur une assemblée assez peu lettrée. Si M. le duc de Broglie n’est pas sorti intact de la lutte, il en est sorti avec éclat. Il avait son succès de tribune, il n’était plus réduit à se retirer vulgairement, presque clandestinement, sans explications publiques. Soit ; c’était de bonne guerre de ne pas déserter un combat où M. le duc de Broglie pouvait se promettre quelque avantage ; mais, après cela, où donc était la nécessité de tout compliquer en léguant à un nouveau ministère l’héritage d’instructions