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de là, et ce qui est admirable, elle conserve son timbre et son accent. Nous lisions l’autre jour dans un journal de Berlin que le directeur général des postes, M. Stephan, venait de doter Varzin d’un téléphone, et qu’au moyen du magique appareil, sans quitter ses sapinières, M. de Bismarck pourrait faire entendre sa voix à Berlin comme s’il y était. Ce journal insinuait que désormais M. de Bismarck ne traiterait plus les affaires que par l’entremise du téléphone, conversant à distance avec M. de Bulow, avec l’empereur lui-même, ou expliquant au Reichstag du fond de son cabinet de travail et les pieds sur ses chenets les avantages du nouveau tarif. Il paraît qu’il n’en est rien. S’il faut en croire la Gazette de la Croix, le chancelier a décliné la proposition de M. Stephan, et il est à peu près certain qu’au mois de janvier 1878 le Reichstag pourra le contempler face à face. La Prusse ne jouira pas de sitôt du régime parlementaire, mais elle ne sera pas soumise au gouvernement téléphonique.

Une brochure récemment publiée par M. Roesler, professeur à l’université de Rostock, contient ce mot sévère, que nous ne prenons pas sur notre compte : « Le prince de Bismarck a montré jusqu’à ce jour plus d’habileté à détruire qu’à construire, et lui-même doit savoir mieux que personne que les problèmes irrésolus s’entassent devant lui... Sa politique n’est pas vraiment nationale, il ne la fait pas à ciel découvert, à la face du pays; c’est une politique secrète de cabinet[1]. » Nous laissons à nos voisins le soin d’approuver ou de corriger ce jugement ; mais nous nous permettrons d’affirmer que, si M. de Bismarck cause de nombreux chagrins aux hommes qui ont l’honneur périlleux d’être ses collègues, il en prépare bien d’autres à ceux qui auront l’honneur plus périlleux encore de le remplacer dans la direction des affaires. Il ne pourra léguer à ses successeurs ni ses puissantes facultés, ni son caractère indomptable, ni la gloire de son passé, ni ses expédiens, ni sa politique du cas donné, ni même son téléphone, s’il consentait à accepter le présent que veut lui faire M. Stephan. En revanche, il leur léguera beaucoup de questions à résoudre, beaucoup de cas litigieux à débrouiller, beaucoup de comptes à régler, beaucoup d’embarras et un parlement ou, pour mieux dire, deux parlemens très exigeans, lesquels, ayant été assujettis au régime d’abstinence le plus rigoureux, penseront avoir conquis par leurs longues privations le droit à l’appétit.


G. VALBERT.

  1. Gedanken über den constitutionellen Werth der deutschen Reichsverfassung, von D’Hermann Roesler. Rostock, 1877.