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C’est, selon toute apparence, à ce second parti que s’arrêtera M. de Bismarck, quitte à frapper d’une manière exceptionnelle quelques articles de provenance austro-hongroise. La France est mêlée à toutes ses préoccupations, à toutes ses pensées, il ne l’oublie jamais, il saura lui faire sa part, elle y peut compter dès ce jour. Le Reichstag n’obéira pas sans regrets ni sans répugnance aux injonctions du chancelier. Les libéraux prussiens ont peu de goût pour l’accroissement et la multiplication des impôts indirects, et ils ont un penchant prononcé pour le libre échange. M. de Bismarck leur imposera de pénibles sacrifices; que leur offrira-t-il en échange? Le bruit avait couru qu’il songeait à leur donner un ou deux portefeuilles. Les libéraux montrent peu d’empressement à les accepter, d’abord parce que ces portefeuilles seraient le prix d’une apostasie, ensuite parce qu’ils ne sont pas bien sûrs de les avoir. Dans la séance du 27 octobre, un orateur progressiste, M. Richter, leur disait : — « Le prince de Bismarck ouvrirait volontiers à l’un de vous la porte du ministère, pour que vous l’aidiez à se procurer ses nouveaux impôts ; mais .vous ne vous souciez pas de tirer les marrons du feu. »

La principale feuille du parti, la National-Zeitung, déclarait, il y a deux semaines, « qu’il était bien temps d’en finir avec la politique au jour le jour, que les libéraux-nationaux avaient donné assez de preuves de leur désintéressement en s’imposant la tâche fatigante d’accompagner pas à pas le gouvernement dans ses évolutions et dans ses voies tortueuses, que désormais le chancelier et la représentation nationale devaient convenir en commun du chemin qu’ils voulaient suivre ensemble. » On ne peut reprocher aux libéraux d’avoir des prétentions exagérées. Ils reconnaissent que les peuples sont tenus de payer très cher leur gloire et leurs grands hommes, que le génie ne doit pas être traité selon les règles communes, et que, tant que M. de Bismarck vivra, la Prusse doit prendre son parti d’être soumise au bon plaisir du gouvernement personnel ; mais, tout en respectant les droits du génie, ils demandent au gouvernement personnel qu’on leur impose d’avoir des vues d’ensemble, des desseins suivis et d’y associer la majorité parlementaire en s’expliquant avec elle ; ils souhaitent aussi qu’on leur donne des garanties en récompense de leur fidélité. Malheureusement ils n’obtiendront pas que M. de Bismarck conclue avec eux un pacte engageant l’avenir. Il n’y a qu’un parti dont M. de Bismarck consente à devenir le chef ou l’allié perpétuel, c’est le parti des bismarckiens ; il n’entretient avec tous les autres que des relations de circonstance. Il a transporté dans la politique intérieure les principes, les procédés de sa diplomatie, qui ne contracte jamais que des obligations éventuelles, et, ainsi que le remarquait un jour M. Virchow, il négocie avec la majorité du parlement comme avec une puissance étrangère, en stipulant pour tel cas donné et en évitant de conclure aucun engagement général.