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brut de la société, et que ceux qui y pèsent de la façon la plus régulière, en ne frappant pas plus les uns que les autres, sont précisément les impôts de grande consommation établis sur les objets de première nécessité. La répercussion en est fatale. Enfin ces impôts sont encore les meilleurs au point de vue économique, parce qu’ils ne découragent personne et peuvent arriver, même en surexcitant légèrement les efforts de chacun, à faire que le fisc soit désintéressé sans dommage pour la fortune publique et pour personne. Si maintenant à ces taxes nécessaires et si bien justifiées nous croyons utile d’en ajouter une nouvelle sur le revenu, c’est, nous l’avons dit, non pour racheter ce qu’il y aurait d’injuste dans les impôts indirects, mais tout simplement pour fournir une ressource de plus au gouvernement. L’Angleterre a fait des merveilles avec cet impôt; elle y a trouvé l’équilibre de son budget compromis depuis longtemps, et des ressources exceptionnelles avec lesquelles elle a pu accomplir ces magnifiques réformes financières qui ont porté si haut le niveau de sa richesse et qui lui permettent aujourd’hui, avec les excédans de recettes, de diminuer chaque année sa dette et ses impôts. Nous devons chercher à l’imiter, et pour cela il faut nous munir d’abord du talisman avec lequel ces merveilles s’opèrent.

Nous ne devons pas perdre de vue que nous avons aujourd’hui par suite de nos malheurs une dette de 22 milliards, la plus forte qui existe dans le monde, et si nous ne la réduisons pas, nous pouvons nous trouver à certains momens dans de grands embarras. Déjà elle est un obstacle sérieux à une foule d’améliorations qu’on pourrait faire et qui sont ajournées à cause d’elle. C’est à cause d’elle qu’on maintient beaucoup de petites taxes mal justifiées et qui sont une entrave au progrès de la richesse, comme les tarifs élevés sur la poste et les dépêches télégraphiques, la taxe sur la petite vitesse, etc.; c’est à cause d’elle encore que nous sommes paralysés dans l’exécution de certains travaux publics, et que la question des chemins de fer, notamment à propos des petites lignes, si débattue et si controversée, reste toujours pendante. La meilleure solution serait évidemment une garantie d’intérêts à fournir par l’état, mais on répugne à l’accorder dans la situation actuelle de nos finances pour ne pas augmenter des charges déjà trop élevées. L’impôt du revenu bien compris, bien établi sur une base très large et à un taux modéré, permettrait d’accomplir successivement toutes ces améliorations, et il ne serait pas impossible qu’au bout de très peu de temps il nous donnât aussi des excédans de recettes avec lesquels on pourrait constituer un amortissement de la dette publique.


VICTOR BONNET.