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en accordant des immunités aux autres, ou d’arriver à des impossibilités absolues si on n’en accorde pas. Au fond pourtant l’effet devrait être le même, car ce que l’ouvrier ne paie pas sous forme directe, il le paie sous forme indirecte, et par une contribution de tous les jours, dont il ne s’aperçoit pas, il donne peut-être au fisc plus de 56 francs par an. C’est possible, mais il ne s’en aperçoit pas, toute la question est là. Il paie en se procurant une jouissance, et ne se sent pas découragé, tandis que, s’il avait à porter 56 francs par an chez le percepteur à des jours déterminés et sans rien recevoir en échange, au moins en apparence, il se sentirait découragé. Il aurait moins envie de travailler pour faire la part du fisc. Non-seulement l’effet serait fâcheux au bas de l’échelle, il le serait encore au haut. Croit-on que celui qui a 100,000 livres de rente et celui qui en a 20,000 verraient avec indifférence l’obligation de donner au trésor l’un 12 ou 13,000, l’autre 2,500? Ils les donneraient tous deux avec infiniment de regret, et peut-être porteraient-ils leurs capitaux au dehors pour échapper à une taxe aussi lourde. Je ne parle pas des fraudes qui seraient la conséquence fatale d’un impôt très onéreux. Cette taxe unique sur le revenu est le rêve creux de gens qui n’ont pas approfondi la question. Quant à ce même impôt établi sur le capital, il ne mérite pas même la discussion, malgré le bruit qu’on a essayé d’en faire.


III.

En résumé, toutes les attaques contre les impôts indirects sont beaucoup plus passionnées que réfléchies; on ne se rend pas un compte exact des choses, on ne voit que l’incidence directe, le pauvre frappé dans sa consommation journalière, et on en conclut qu’il en résulte pour lui une charge exceptionnelle qui n’est pas en rapport avec les ressources dont il dispose. On oublie d’abord que cette charge, au fond, est insignifiante et le plus souvent illusoire. Si la vie est relativement plus chère pour l’ouvrier que pour d’autres personnes plus aisées, cela tient à ce que, n’ayant ni les ressources suffisantes, ni trop souvent, hélas! la prévoyance nécessaire pour s’approvisionner en gros, il est obligé de subir toutes les exigences du commerce de détail auquel il demande crédit, et ces exigences sont telles que, si demain on supprimait l’impôt, l’ouvrier continuerait à payer tout aussi cher les choses dont il a besoin; l’expérience en a été faite mainte fois. Cependant tous les jours on entend de prétendus amis du peuple déclarer que la cherté de la vie pour les ouvriers tient aux taxes de consommation : il n’y a pas d’erreur plus grave et plus répandue. Un grand homme d’état anglais qui a pris une part considérable aux meilleures mesures