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II.

Voyons maintenant en fait et au point de vue de l’économie politique comment se comportent les impôts indirects qui frappent ce qu’on appelle les objets de première nécessité. Je prends d’abord celui du sel; le produit s’en élève d’année en année; après être descendu à moins de 30 millions à la suite du dégrèvement de 1848, il est remonté successivement à 40 ; la taxe des boissons est portée aujourd’hui au budget de 1877 pour 335 millions; elle est sans cesse en progrès, malgré les aggravations qu’elle a subies. Le tabac, qui donnait 46 millions en 1828, produit en ce moment 312 millions; il a été également surtaxé à diverses reprises, et malgré la surtaxe la plus-value ne s’arrête pas; le sucre procure 18’3 millions contre 72 en 1847, et dans cet intervalle le droit a été porté de 49 fr. 50 c. à 65 fr. 52 c. les 100 kilog. (loi de 1874). Ce sont bien là des impôts frappant des objets de première nécessité, et le progrès ne se ralentit pas. Quelle preuve plus convaincante veut-on avoir qu’ils ne sont pas un obstacle sérieux au développement de la consommation, et par suite au progrès de la richesse? Dira-t-on que la consommation se serait développée davantage encore si ces taxes n’avaient pas existé? Cela est probable; cependant on est étonné du peu d’influence qu’a exercé à certaines époques le dégrèvement de quelques-unes d’entre elles. Avant 1848, la taxe du sel, qui était de 3 décimes par kilogramme, rapportait au trésor 72 millions; on l’abaisse tout à coup de 2 décimes, et immédiatement le produit tombe environ des deux tiers; le dégrèvement n’avait rien fait, la consommation n’avait pas augmenté. Après 1848 encore, on eut l’idée de supprimer les 10 centimes qui frappaient le kilogramme de viande à l’entrée dans Paris; il n’en résulta aucune diminution dans les prix; on fut obligé de revenir sur la mesure. Déjà en 1830 on avait fait une expérience semblable à propos de certain droit sur les liquides; on l’abolit, le prix resta le même, et le trésor perdit une somme assez considérable. Enfin le droit sur le café, lorsqu’il était de 1 fr. 15 c. le kilogramme, avait monté de 15 à 31 millions entre 1847 et 1859; on le réduisit à 50 centimes en 1860, et en 1871, après onze ans, il ne rapportait plus que 26 millions. « Le dégrèvement, dit le rapporteur d’alors qui proposait de remettre l’ancien droit, n’avait exercé aucune influence sur le développement de la consommation. » Ces faits sont significatifs; on pourrait en ajouter bien d’autres. M. Clément Juglar, dans des statistiques fort intéressantes qu’il publie de temps à autre, constate qu’à Paris, de 1840 à 1867, la consommation de la viande de boucherie, malgré le droit de 10 centimes par kilogramme, a augmenté