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philosophes, des hommes d’état qui ont prétendu que l’économie politique et la morale n’avaient rien de commun et suivaient des lois différentes. On a dit cela, et bien d’autres choses, mais on ne l’a jamais prouvé. Si l’accusation était fondée, elle serait beaucoup plus grave qu’on ne pense, elle ne tendrait à rien moins qu’à bannir les sciences, qu’à condamner la loi du travail et tous les efforts de l’homme pour améliorer sa situation ici-bas, — travail et efforts qui commencent d’abord par développer les intérêts matériels; les intérêts moraux en profitent ensuite. Loin qu’il y ait antagonisme entre les deux, ils sont unis au contraire par un lien naturel et forcé, à ce point qu’on pourrait presque dire qu’il n’y a pas de société prospère qui ne soit en même temps une société morale. — Pour en revenir aux taxes indirectes, pourquoi seraient-elles injustes? Ce n’est pas apparemment parce que tout le monde y est soumis. Nous avons vu que chacun devait l’impôt, parce que chacun dans la société bénéficie des services que rend l’état. Une part de cet impôt est payée directement par ceux qui possèdent l’actif disponible, la richesse déjà réalisée; mais, en dehors de la richesse réalisée, il y en a une autre beaucoup plus considérable qui se produit au jour le jour, qui résulte du travail, sur laquelle vit le plus grand nombre, qui est protégée comme le reste par les forces de l’état et qui doit bien aussi SI part contributive aux dépenses publiques. Comment la lui faire payer? La taille était un des moyens qu’on employait autrefois; c’était un impôt très lourd, très vexatoire, et qui avait en outre le grand inconvénient de ne pas atteindre tout le monde. On l’a supprimé, et on a bien fait; mais en débarrassant les classes inférieures de cette taxe, on n’a pas eu l’idée de les affranchir de toute contribution et de faire qu’elles jouiraient des avantages de la société sans avoir à en supporter les charges. C’eût été par trop injuste. On a pensé qu’elles prendraient leur part de ces charges avec la répartition de l’impôt indirect, surtout de celui qui frappe les objets de consommation générale. Et, comme cette consommation se fait en raison des facultés, la part d’impôt qui devrait ainsi leur incomber serait nécessairement proportionnelle à leurs ressources, la plus proportionnelle de toutes, car elle ne dépendrait ni du caprice du législateur, ni d’une fausse appréciation de la situation de chacun, ainsi que cela peut arriver avec l’impôt direct.

Mais, dira-t-on, c’est précisément à l’occasion des impôts indirects que cette première des règles, la proportionnalité, est violée. Ces impôts frappent des objets de première nécessité à la consommation desquels on ne peut pas se soustraire, comme le sel, le vin, le sucre, etc. Parce que j’aurai 100,000 francs de rente, je ne consommerai pas cent fois plus de sel, de vin et de sucre que celui qui n’a que 1,000 francs. Non-seulement je n’en consommerai pas