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et encore plusieurs lignes d’et cœtera. Ce n’était pas le menu peuple, on le pense bien, qui était choqué de ces dissonances, ni la bourgeoisie moyenne, ni même la bourgeoisie supérieure, c’étaient les Anglais du high-life. Ceux-là même qui approchaient du prince le plus souvent, et qui, le connaissant, appréciaient sa valeur, ne pouvaient s’empêcher de le critiquer à ce point de vue. Que de fois on a entendu dans les salons des phrases comme celles-ci : « Il est excellent, il est habile et capable ; mais voyez donc la coupe de son habit ! » Ou bien : « Voyez donc sa manière de donner une poignée de main ![1]. »

Ce ne sont là que des enfantillages, mais patience, l’accusation va prendre un ton plus haut. Le prince, disions-nous, avait le malheur inévitable et irréparable d’être un étranger ; une chose plus grave, c’est qu’il est Allemand. Il faut entendre ici M. Ernest de Stockmar démontrer philosophiquement combien la supériorité de la race germanique faisait au prince une situation difficile au milieu des Anglais. Quel est le fond de la nature germanique ? La liberté de l’esprit, c’est-à-dire un continuel effort vers la vérité. Cet effort, ajoute M. de Stockmar, a quelque chose d’anti-conservateur. L’esprit libre ne s’en tient pas tranquillement à ce qui est, par respect de ce qui est, il le mesure et le pèse toujours de nouveau, d’après une manière toujours plus haute de mesurer et de peser, en un mot il soumet toutes choses à une perpétuelle critique. Telle était, selon l’écrivain allemand, la nature du prince ; de là son goût du progrès dans les questions politiques, sociales, scientifiques, religieuses, son ardent désir d’améliorer l’enseignement supérieur et primaire, l’intérêt qu’il portait à la situation des classes ouvrières, la direction éclairée de sa foi protestante, sa confiance intrépide dans la science, dans les lois de la nature dont la connaissance doit guider le genre humain, — « toutes choses, dit M. Ernest de Stockmar, qui ne pouvaient que déplaire aux partisans des anciens systèmes, lesquels n’ont pas tort de haïr la pensée comme le véritable élément révolutionnaire de l’humanité. » D’autre part, les idées du prince ne devaient pas plaire davantage au radicalisme rouge, car il signalait constamment la culture, la moralité, la religion, comme les conditions essentielles de tout progrès.

Tout cela pouvait se dire avec moins d’emphase et surtout avec plus d’équité. C’est fort bien fait de louer les qualités libérales du prince Albert ; c’est une prétention sotte de les attribuer au génie particulier de la nature allemande, et de vouloir humilier l’esprit

  1. « He is excellent, clever, able, but look at the cut of his coat ! look, at the way in wich he shakes hands ! »