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demanda sa démission, et, dans les explications qui eurent lieu devant le parlement, il le réduisit au silence. Seulement il faut ajouter que, si lord Palmerston, par ses perpétuelles incartades, avait mérité sa révocation, il a su honorer sa défaite à la chambre des communes par une noblesse morale qu’on ne lui soupçonnait pas. Un de ses amis, lord Dalling, qui a laissé une curieuse esquisse de la nuit parlementaire du 3 février 1852, nous dit que, malgré la faiblesse de sa défense, ou plutôt à cause de cette faiblesse même, jamais il ne l’a plus admiré qu’en cette occasion. Palmerston lui faisait l’effet d’un homme qui, engagé dans une querelle qu’il regrette, est résolu à essuyer le feu de son adversaire sans faire usage de son arme. Lord Dalling ajoute : « La victoire lui eût été bien plus désavantageuse que la défaite. » Palmerston lui-même nous donne le sens de ces paroles quand il adresse à son frère William les explications que nous citions plus haut : « Un sujet doit toujours éviter une querelle avec le souverain. Si c’est lui qui a tort, il est condamné sans appel ; si c’est le souverain, la royauté en souffre. » Palmerston aurait mené hardiment la lutte contre son noble ami John Russell ; devant le mémorandum de la reine, il se défendit pour la forme et se laissa désarmer.

Voilà pour la question intérieure, la question anglaise de droit constitutionnel. Quant à la question de politique étrangère, les événemens ont prouvé que Palmerston, uniquement préoccupé de l’intérêt anglais, avait vu très loin et très juste. En s’attachant, sauf les restrictions dont nous avons parlé, au gouvernement français du 2 décembre, lord Palmerston ménageait à l’Angleterre une alliance qui devait lui être indispensable dans la guerre d’Orient. La question des lieux-saints avait déjà éclaté à cette date. Y avait-il beaucoup de politiques en 1851 qui prévissent la guerre de Crimée ? Palmerston, de son regard perçant, suivait déjà les flottes d’Angleterre et de France dans les eaux de la Mer-Noire. Stockmar, qui le traitait de fou en 1850, a été obligé de reconnaître quatre ans plus tard la pénétration de ce terrible homme. Il l’a fait du reste sans hésiter, avec un rare sentiment de justice. Voici ce qu’il écrivait au mois d’octobre 1854 :


« C’était depuis longtemps la maxime de Palmerston que l’alliance de la France et de l’Angleterre pourrait tenir en bride le reste de l’Europe. Cette maxime et sa haine passionnée des d’Orléans m’expliquent l’entreprise hasardeuse qu’il a tentée, lorsque, dès la nouvelle du coup d’état exécuté avec succès par Louis-Napoléon, il a, contrairement à son devoir de ministre, approuvé publiquement ce coup d’état, et lorsque ensuite, bravant la condamnation générale portée en Angleterre contre l’acte du 2 décembre, il a essayé tout aussitôt d’établir une entente