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qu’on lui reprochait, à propos de l’événement du 2 décembre. Et deux jours après, le 5 décembre, dans la propre maison du premier ministre, est-ce que le noble lord président du conseil[1], est-ce que le chancelier de l’échiquier[2] n’avaient pas aussi exprimé leurs opinions ? — « Ainsi, tous les membres du cabinet, quel que soit leur office, sont libres d’exprimer une opinion sur les événemens du dehors ; et le secrétaire d’état pour les affaires étrangères, le ministre dont le devoir particulier est de veiller sur ces événemens, le ministre qui serait impropre à sa charge s’il n’avait pas une opinion sur ces événemens, est le seul homme qui n’ait pas la liberté d’exprimer ce qu’il en pense ! Et lorsqu’un ministre étranger vient lui apprendre qu’il a reçu des nouvelles, il doit rester silencieux comme un lourdaud qui ne sait que dire ou comme le muet de quelque pacha d’Orient ! » Ici, on le pense bien, les rires éclatent, les applaudissemens retentissent, mais la réflexion a son tour, et la chambre comprend bientôt qu’il n’y a là qu’une boutade au lieu d’un argument. N’est-ce pas précisément parce que le chef du foreign office représente la politique étrangère du pays qu’il est obligé à plus de réserve ? Or cette argumentation piquante, mais si facile à réfuter, était tout le fond de la défense de Palmerston, il ne fit que la délayer et l’affaiblir. Cet embarras, ces répétitions, cette pénurie de moyens chez un orateur si plein de ressources, le condamnaient aussi expressément que le mémorandum de la reine.

Telle fut l’impression générale de la chambre. M. Disraeli disait le lendemain : « Il y a eu un Palmerston. » Où était en effet le grand orateur qui, dans le débat du mois de juin 1850, avait tenu tête victorieusement à tous les partis de l’assemblée ? Les jours suivans, dans les principaux cercles politiques de Londres, on n’entendait qu’un mot sur toutes les lèvres : Palmerston est écrasé.

Était-ce le résumé vrai de la situation ? Pas le moins du monde. Palmerston réservait encore bien des surprises à ses adversaires comme à ses amis. Pour nous qui jugeons ces choses à distance, et qui les jugeons sur des documens contradictoires, notre impartialité nous oblige à distinguer très nettement les deux questions engagées dans l’affaire, la question purement anglaise et la question de politique générale. La question anglaise, c’était la question constitutionnelle, la question des rapports des ministres avec la couronne ; la question politique, c’était l’appréciation du 2 décembre. Sur la question constitutionnelle, lord Palmerston a été battu comme il devait l’être ; il avait oublié les égards dus à la reine, il avait manqué aussi à ses devoirs hiérarchiques ; lord John Russell lui

  1. C’était alors le marquis de Lansdowne. On sait qu’en Angleterre le président du conseil et le premier ministre sont deux personnages différens.
  2. Le chancelier de l’échiquier dans ce ministère Russell était sir Charles Wood.