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sans hésiter la lieutenance générale d’Irlande. Sa place était au parlement. Puis, comme s’il tenait à prouver que les reproches de lord John Russell n’étaient qu’un prétexte pour l’éloigner du pouvoir, il insistait de nouveau sur la distinction à faire entre le langage officiel et une conversation privée. « La théorie de lord John Russell, disait-il, est toute nouvelle et n’est point pratique. Si un secrétaire d’état, parlant à un ministre étranger, était toujours censé exprimer l’opinion officielle de son gouvernement, s’il ne pouvait rien dire en son nom propre des événemens du jour, s’il ne lui était pas loisible d’ouvrir la bouche avant d’avoir consulté le conseil, ce serait la fin de ces entrevues familières qui contribuent si utilement à maintenir les relations amicales avec les gouvernemens étrangers. » Cette espèce de plaidoyer in extremis ne pouvait désarmer le premier ministre. Lord John soumit toute la correspondance à la reine et lui demanda de donner un successeur à lord Palmerston.

Un fait très certain, quoique nié obstinément par les amis de lord Palmerston, c’est que la reine était demeurée étrangère à cette crise. Ce n’est point sur l’ordre, ni même sur la plainte de la reine que lord John demanda des explications à son collègue et finalement lui signifia son congé. Tout était fini quand la reine, après un séjour à Osborne, revint s’installer à Windsor ; elle n’eut qu’à donner son assentiment aux propositions du premier ministre. Il n’y a eu ici aucune intrigue de cour, aucune conspiration des cabinets absolutistes de continent, aucune machination de la Russie et de l’Autriche, de la Prusse ou de la Bavière, comme on l’a dit plus tard avec une extrême vivacité au moment des explications publiques ; il n’y a eu qu’une nouvelle incartade de lord Palmerston faisant perdre patience à lord John Russell. Que la reine et le prince n’aient pas été fâchés de l’aventure, cela est trop naturel ; il n’en est pas moins vrai qu’ils n’y furent mêlés en rien. Une lettre très curieuse du prince Albert, citée par M. Théodore Martin, ne laisse aucun doute à ce sujet. On y voit exprimées avec candeur et la surprise du couple royal et la satisfaction qu’il éprouve :


« Windsor-Castle, 20 décembre 1851.

« Mon cher lord John, vous vous imaginerez aisément quelle a été notre profonde surprise en apprenant la conclusion soudaine de votre différend avec lord Palmerston, tant nous étions accoutumés à le voir toujours s’emparer de ses positions, dont il laissait la défense à ses collègues et le discrédit à la reine.

« Il était parfaitement clair pour la reine que nous étions entrés dans une époque très dangereuse où le despotisme militaire et le républicanisme rouge allaient être pendant quelques années les deux seuls pouvoirs du continent, deux pouvoirs auxquels la monarchie constitutionnelle