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autorité pût intervenir comme arbitre ? Au reste, beaucoup plus explicite avec lord John qu’avec le comte Walewski, Palmerston reconnaissait que la justification du président dépendait de deux choses : il lui fallait prouver d’abord qu’il n’avait agi que pour sa propre défense, qu’il n’avait fait que prévenir un coup dont il était menacé ; ensuite et surtout il était tenu de justifier la prééminence qu’il avait acquise par l’usage qu’il saurait en faire.

On connaît le mot célèbre de Victor Cousin : « Ce n’est pas le 2 décembre que je condamne, c’est le 3 décembre. » Lord Palmerston s’inspire exactement de la même idée lorsqu’il termine ces singulières pages par la déclaration que voici : « Je ne partage pas du tout l’opinion que je sais avoir été exprimée par Macaulay dans une lettre à lord Mahon, à savoir que la nation française n’est faite que pour le despotisme militaire, et il m’est impossible de croire qu’aucun gouvernement, dépourvu de ce que nous entendons par le mot constitutionnel, puisse avoir en France une longue durée. »

La dissertation de lord Palmerston contenait sans doute plus d’une idée qui pouvait paraître juste à lord John Russell, et il est certain que le ministère whig a fini par adopter presque entièrement cette manière de voir ; mais il ne s’agissait pas alors d’une appréciation politique du coup d’état, il s’agissait de savoir si lord Palmerston avait observé les règles de la hiérarchie ministérielle, s’il avait gardé dans ses entretiens avec M. Walewski la neutralité convenue, ou bien s’il avait manqué à la reine, s’il avait manqué au premier ministre, en prononçant les paroles inconsidérées transmises au gouvernement français par le comte Walewski, Sur ce point si grave, et le seul qui fût en question, Palmerston ne pouvait nier les faits. Il était trop habile et trop galant homme pour donner si légèrement un démenti à l’ambassadeur de France. Tout au plus pouvait-il insinuer que les paroles répétées s’altèrent toujours un peu, que les siennes avaient pris plus de relief, plus de couleur dans le récit du comte Walewski (is giving a high colouring) ; surtout il pouvait direct redire, comme il n’a cessé de le faire, que c’était là une simple conversation sans aucun caractère officiel, une conversation d’homme à homme, non de ministre à ministre. Lord Russell n’admit pas cette distinction subtile. La justification de son collègue lui parut ce qu’elle était en réalité, un aveu et presque une bravade. Son parti fut pris immédiatement. Il fallait que lord Palmerston remît sa démission à la reine. Voici la lettre de lord John Russell :


M Woburn-Abbey, 17 décembre 1851.

« Mon cher Palmerston, j’ai reçu votre lettre du 16, qui m’a été apportée ce matin par un messager, j’ai lu aussi la dépêche de lord Normanby