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par principe, et avec une étonnante obstination de résistance à tous les efforts de sa majesté. En outre, et sans le moindre scrupule, lord Palmerston s’arrange pour faire croire au public que le peu d’empressement de la reine à examiner les papiers qu’elle reçoit a souvent causé des retards et des complications[1]. »

Lord John Russell, se conformant aux ordres de la reine et très frappé du langage du prince, s’empressa d’avertir son collègue, plus vivement sans doute que par le passé. Il le trouva très calme, très peu disposé à s’émouvoir, et recueillit de sa bouche l’assu- rance formelle que l’intention d’oublier le respect dû à la reine n’avait jamais pu entrer dans son esprit. Quelques jours après, lord Palmerston reprenait sans rien dire son sceptre et sa couronne. Décidément, la direction du foreign office était devenue entre ses mains un gouvernement personnel. Il montrait les pièces ou les dissimulait, au gré de ses convenances. Il modifiait les rédactions sans en avoir le droit, ou s’abstenait de les modifier quand il en avait reçu l’ordre. Il est évident que le succès obtenu par lui à la chambre des communes dans le grand débat du mois de juin 1850 avait redoublé son audace.

Pendant quatre nuits, du 24 au 28, toute la politique étrangère de lord Palmerston avait été attaquée avec passion par les voix les plus diverses, par les whigs comme par les tories, et dans un péril si pressant l’audacieux vicomte avait grandi de vingt coudées. Le discours qu’il prononça dans la nuit du 25 excita l’admiration même de ses plus ardens adversaires. Les ombres de la nuit enveloppaient Westminster quand l’impétueux orateur prit la parole : les premières lueurs du jour éclairaient les vitres du palais lorsqu’il acheva son discours au milieu d’applaudissemens enthousiastes. Pendant plus de cinq heures, sans avoir besoin d’une seule note, sans montrer la moindre hésitation, sans éprouver aucune fatigue, toujours aussi fort, aussi pressant, aussi assuré d’une incomparable aisance, il avait tenu l’assemblée attentive et sous le charme. Il s’agissait d’abord d’une affaire toute spéciale, des réclamations d’un sujet anglais, le juif Pacifico, contre le gouvernement hellénique, et des mesures violentes prises à ce sujet par le chef du foreign office ; mais bientôt cette affaire, si grave qu’elle fût, puisqu’elle avait failli brouiller l’Angleterre avec la Russie et la France, avait fait place à une discussion plus grave encore, car le débat agrandi embrassait toute la politique étrangère de lord Palmerston et mettait le ministère whig en péril. La chambre haute, sur une motion de lord Stanley, avait condamné cette politique, et ce vote avait suffi pour

  1. Voyez Théodore Martin, the Life of his royal highness the prince consort, t. II, p. 304.