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récalcitrant. Le prince Albert s’en expliqua nettement avec lord John. Une lettre de lui, écrite le 2 avril 1850, exprime avec la précision la plus correcte les justes griefs de la reine. Assurément, c’est une remarque du publiciste anglais qui nous sert de guide sur ce point, la reine n’avait pas à condamner de sa seule autorité une politique étrangère qui avait l’assentiment des chambres, et elle avait rempli son devoir quand elle avait indiqué dans le conseil ce que cette politique avait d’irritant et de stérile. Elle avait le droit, il est vrai, de dissoudre la chambre des communes et de faire appel à l’opinion du pays ; mais on n’use de ce droit que dans les cas extrêmes, quand il y a désaccord absolu entre les pouvoirs publics, quand il s’agit de vie ou de mort pour la société. Autant il est noble alors d’exercer courageusement ce droit constitutionnel, autant il est sage de n’y recourir qu’en face d’une nécessité impérieuse. Ces nécessités sont rares dans un pays de traditions libérales comme l’Angleterre, dans un pays où le respect de la loi fondamentale domine toutes les dissensions intestines. Il était donc tout simple que la reine se soumît en bien des cas à une politique extérieure qui n’était pas la sienne, mais si la reine cédait sur le fond, comme c’était son devoir, elle n’était pas tenue de céder quant à la forme ; elle ne devait pas permettre que telle ou telle démarche politique, déjà grave par elle-même, fût aggravée par le langage du foreign office, et qu’on s’autorisât de son nom pour envenimer les conflits. C’est pourquoi le prince Albert, écrivant à lord John Russell par ordre de la reine, lui disait sans hésiter : « La reine ne peut voir sans peine les résultats amenés, surtout depuis 1847, par la direction de notre politique extérieure. En des circonstances où l’Angleterre aurait besoin d’être placée très haut dans l’opinion du monde et déposséder l’estime de toutes les puissances, elle est généralement détestée, tenue en défiance et traitée sans égards, même par les plus petits états. »

À quoi tient cette situation ? À la manière dont lord Palmerston dirige les affaires extérieures, à ses allures, à ses procédés, à la raideur de son langage. Il faut discuter pour s’entendre, non pour se brouiller. C’est surtout quand on n’est pas d’accord qu’on doit redoubler de courtoisie. Si lord Palmerston oublie ces principes-là, la reine, sans sortir de son rôle, a le devoir de s’en souvenir. Il est donc indispensable que rien ne se fasse en dehors d’elle, qu’on ne lui cache aucune démarche, aucune dépêche, aucune formule, qu’elle puisse tout voir et contrôler tout. Son consentement une fois donné, les pièces ne peuvent plus subir la moindre altération. No varietur, c’est une condition absolue. « Lord Palmerston, écrit hardiment le prince Albert, n’a pas tenu compte de ces justes demandes, lord Palmerston a manqué à la reine, et cela non par négligence, mais