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passive, n’avait pas le droit d’intervenir dans la délibération avec l’autorité qui lui est propre. Il intervient par le choix de ses ministres, il peut intervenir aussi par la direction qu’il leur imprime. C’est sur ce terrain, salva ministrorum libertate, que doit s’exercer l’action de la couronne. Les maîtres du droit constitutionnel en Angleterre n’ont jamais contesté ces principes. Tout récemment encore, et à propos du sujet qui nous occupe, un écrivain anglais d’un rare mérite, M. Théodore Martin, résumait en ces termes la doctrine consacrée par l’usage : « Nos relations extérieures comprenant les questions vitales de paix et de guerre ont toujours été considérées comme exigeant d’une manière spéciale l’attention du souverain. Si quelqu’un doit tenir plus sérieusement que personne à rehausser la dignité, la puissance et le prestige de ce pays, on peut le présumer à bon droit, c’est le souverain qui préside à ses destinées et en qui sa majesté se personnifie. Si quelqu’un doit plus que personne aimer la paix et tous les biens qu’elle dispense, c’est le souverain. Aucun ministre, quel que soit son patriotisme, quelle que soit sa conscience, n’est homme à surveiller ce qui se passe sur le continent, à s’inquiéter de la constante prospérité du pays avec plus de vigilance et plus de pénétration que le souverain, puisque de toutes les personnes du royaume il est le plus étroitement identifié avec ses intérêts et son honneur. Sympathies ou antipathies à l’égard de telle ou telle famille régnante, poursuite ardente de victoires diplomatiques, ressentiment des échecs subis sur ce terrain, désir de propager des théories politiques préférées, aucune de ces choses ne peut trouver place dans l’esprit du souverain d’un royaume constitutionnel comme le nôtre, puisque, sa première pensée étant de garder son empire sauf, honoré, respecté, il a l’obligation d’observer une courtoisie sincère et digne à l’égard des autres souverains et de leurs gouvernemens. C’est pour ce motif que la couronne a toujours eu l’éminente fonction de veiller exactement, continuellement, sur l’état de nos relations extérieures, par conséquent de se tenir pleinement informée de la politique du gouvernement, et de tout détail essentiel de cette politique pouvant influer sur les relations du dehors[1]. »

Lord Palmerston, sans contester ces principes de droit constitutionnel, ne manquait pas une occasion de s’y soustraire. Collègue très aimable, assure-t-on, dans tout ce qui regardait les affaires générales du ministère, il devenait intraitable dès qu’il s’agissait des choses de son département. Les décisions étaient prises en commun, cela va sans dire ; quant à l’exécution, aux dépêches, aux ordres de service, à toute la conduite des campagnes diplomatiques,

  1. Théodore Martin, the Life of the prince consort, t, II, p. 300-301.