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Dans le cabinet whig formé après la chute de sir Robert Peel (29 juin 1846), lord John Russell était premier ministre et lord Palmerston ministre des affaires étrangères. Dès le début de la nouvelle administration, les circonstances les plus délicates et les événemens les plus graves exigeaient que la règle dont nous parlions tout à l’heure fut scrupuleusement observée. En 1846, la question des mariages espagnols touchait à la crise finale ; en 1847 éclatait l’affaire du Sonderbund et du radicalisme suisse ; en 1848, la révolution du 24 février ébranlait une partie de l’Europe ; en 1849, la dissolution du parlement de Francfort et le refus de la couronne impériale par le roi de Prusse mettait en feu l’Allemagne du sud-ouest, tandis que l’Autriche luttait péniblement contre les revendications hongroises et italiennes ; en 1850, la lutte diplomatique de l’Autriche et de la Prusse, après avoir fait sortir les épées des fourreaux, amenait brusquement la convention d’Olmütz, cette convention qui, loin de pacifier les esprits, entraînait des irritations implacables et préparait des catastrophes. Dans la plupart de ces événemens, dans les premiers surtout, la part de lord Palmerston avait été considérable. Ni l’affaire des mariages espagnols ni l’affaire du Sonderbund n’auraient amené les mêmes incidens et excité les mêmes passions, si lord Aberdeen n’avait dû céder à lord Palmerston la direction du foreign office. Il ne faut donc pas s’étonner que la reine Victoria, au milieu de pareilles conjonctures, ait cru devoir rappeler lord Palmerston au respect des règles hiérarchiques ; on s’étonnerait plutôt qu’elle eût attendu si longtemps. Ce n’est que vers la fin de l’année 1849 qu’elle résolut de faire observer les règles et de maintenir son droit.

Qu’on le sache bien en effet, ce n’était pas seulement l’autorité du premier ministre qu’elle défendait au nom de la hiérarchie, c’était aussi et surtout la sienne propre. Les Anglais ne disent pas dans le même sens que nous : le roi règne et ne gouverne pas. Ces maximes à outrance répugnent à leur génie pratique. Tout cela est affaire d’appréciation. Il y a des cas où le roi règne sans gouverner, il y a des cas où il doit régner et gouverner tout ensemble. Se figure-t-on un roi, un chef d’état, un président de république, un homme enfin chargé de représenter une nation, qui se désintéresserait de la politique étrangère et se bornerait, soit pour la paix, soit pour la guerre, à exécuter un mandat impératif ? Ces billevesées radicales n’ont pas cours chez nos voisins. Assurément, dans toutes les affaires qui peuvent engager la nation, ce n’est pas au souverain seul qu’appartient la décision suprême, le concours des trois pouvoirs est nécessaire ; mais la raison veut que la part du pouvoir exécutif soit au moins égale à celle des chambres, et cette part ne serait pas égale si le pouvoir exécutif, réduit à une obéissance