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Albert et qu’on pourrait appeler aussi dans les commencemens la question de lord Palmerston et de la reine Victoria, la question de lord Palmerston et de lord John Russell. Avec plusieurs intermittences, la crise dont il s’agit a duré de cinq à six ans. C’est d’abord entre la reine et le ministre que s’élève le débat ; le prince n’y prend part que comme l’époux, comme le premier sujet et le premier soutien de sa majesté. Ensuite la querelle est surtout entre le ministre et le plus haut placé de ses collègues, entre lord Palmerston, secrétaire d’état des affaires étrangères, et lord John Russell, premier lord de la trésorerie. Enfin, c’est le prince qui est directement en cause, et la reine à son tour soutiendra la lutte avec ardeur, sans quitter pour cela aux yeux du public les hautes sphères où la retient son rang.

Voilà trois périodes à la fois unies et distinctes. Stockmar, qui nous fournît beaucoup de détails sur la dernière, a besoin d’être complété pour les deux autres par les documens que M. Evelyn Ashley vient de publier sur Palmerston et ceux que nous devons à M. Théodore Martin, le sage et consciencieux historien du prince Albert. Le prince en effet se retrouve dans toutes les phases de la lutte, alors même qu’il n’y figure pas en première ligne, et ainsi s’expliquent dès 1850 les paroles de son confident : « La tentation était grande pour le prince d’assaillir Palmerston et de le renverser. » Il est donc très vif, très émouvant et plein de péripéties imprévues, ce petit drame en trois actes. Heureusement, après bien des incidens que l’histoire ne doit pas dédaigner, les conflits s’apaiseront à la satisfaction de tous, et l’on se souviendra en souriant de la comédie de Shakspeare : Tout est bien qui finit bien.


I.

Il est de règle en Angleterre que le premier ministre est particulièrement responsable de la politique du cabinet, c’est-à-dire que les actes des ministres, avant d’être soumis à la signature du souverain, doivent passer par les mains du vrai chef du ministère, de celui qu’on appelle le premier, Il arrive souvent, dans la pratique journalière, que cette règle est un peu oubliée. Quand il s’agit d’affaires courantes ou qui ne soulèvent aucun doute, on comprend que le désir de procéder rapidement fasse supprimer ces lenteurs. Dans les questions graves, la règle reprend son droit. Or y a-t-il une question plus grave que celle des rapports internationaux ? C’est donc tout à fait un devoir constitutionnel pour le ministre des affaires étrangères de ne présenter aucune dépêche à la signature du chef de l’état sans que le premier en ait pris connaissance.