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Ce n’était là naturellement qu’une partie de ces négociations fiévreuses qui remplissaient quelques journées de novembre 1819. En même temps qu’on recherchait si vainement sur les routes de La Haye le patronage du duc de Richelieu, le travail continuait sous toutes les formes à Paris. On ne pouvait éprouver d’embarras avec M. Pasquier, M. Roy, qui étaient acquis d’avance à la combinaison et qui avaient été déjà ministres. La question devenait plus épineuse avec le duc de Broglie, qu’on désirait vivement s’attacher comme un des défenseurs naturels du projet de réforme constitutionnelle qu’il avait contribué à préparer, mais dont l’entrée aux affaires offrait des difficultés qu’il se hâtait lui-même de signaler. Le duc de Broglie, après avoir été le collaborateur intime du garde des sceaux, ne reculait pas devant la responsabilité de ce qu’il avait fait. S’il y avait des dangers, il était prêt à les courir ; si on persistait à le juger utile, il acceptait le poste qu’on lui destinait, l’administration de la guerre, qui devait être séparée du ministère de la guerre proprement dit. Avant tout seulement il se faisait un devoir d’écrire à De Serre une longue lettre pleine de droiture, de modestie, de clairvoyance politique où il exposait ses doutes. Il parlait surtout du peu de secours qu’il porterait au ministère, faute d’une expérience suffisante, d’un nom assez autorisé et d’un talent assez éprouvé. Il y avait une autre raison intime qui pesait sur son esprit et qu’il ne disait pas, qu’il n’a avouée que depuis : c’est que le second mari de sa mère, M. Voyer d’Argenson, homme aimé et respecté de sa famille pour ses qualités de cœur, rêveur socialiste comme son aïeul du XVIIIe siècle, était bien avec M. de Lafayette le plus infatigable conspirateur du temps. Le duc de Broglie ne l’ignorait pas. S’il entrait au gouvernement, il pouvait se trouver tout à coup entre son devoir et son affection pour celui en qui il voyait un second père : que ferait-il ? C’est là ce qu’il taisait en exposant les motifs politiques de ses hésitations. La lettre qu’il avait écrite avait ému De Serre, elle avait aussi frappé le roi, qui déclarait l’avoir lue « avec une satisfaction peu commune, » et qui, en reconnaissant la puissance de quelques-unes des considérations invoquées par le duc de Broglie, avait le bon goût de n’être pas de son avis sur ses talens. « Malgré mes soixante-sept ans, disait le roi, j’espère vivre assez pour employer au service de l’état des talens que lui-même ne se contestera plus… » De sorte que par des raisons, les unes avouées, les autres déguisées, un des futurs ministres sur qui l’on comptait se trouvait encore impossible ; mais là où la question se compliquait, c’est dans les négociations avec Royer-Collard, à qui on destinait un nouveau ministère formé avec la direction de l’instruction publique, qui serait détachée de l’intérieur.

Rien n’était aisé avec le puissant doctrinaire qui, plus que tout