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ainsi créer une représentation parlementaire du gouvernement assez large et assez puissante pour dominer toutes les difficultés. C’était la reconstitution au pouvoir de l’alliance des forces modérées. M. Decazes et De Serre, de plus en plus unis dans l’action, y mettaient tout leur feu, négociant avec les uns et avec les autres, renouant des fils toujours prêts à se rompre, appuyés par le roi, qui les secondait dans leur projet comme dans leurs efforts.

La première condition, tout le monde en convenait, Royer-Collard plus que tout autre, était d’avoir M. de Richelieu, qui par malheur voyageait pour le moment en Hollande. Le roi se chargeait de faire appel au patriotisme du duc de Richelieu, et par le même courrier M. Decazes exposait à l’ancien président du conseil la situation tout entière, la crise ministérielle, le dessein qu’on avait formé, les combinaisons, les alliances sur lesquelles on comptait. M. Decazes allait au-devant de tout, et il ajoutait en termes pressans : « Nous avons demandé au roi de nous faire connaître ses volontés; il nous a ordonné de rester fidèles à nos idées qu’il partage... Nous avons dû alors lui demander un chef et des collègues. Ce chef ne peut être que vous. Vous seul pouvez rallier à ce plan tous les ultras de bonne foi, nous donner au dedans et au dehors la considération dont nous avons besoin. Nous avons fait ensemble le 5 septembre et la loi des élections; nous avons le devoir de faire ensemble ce qui doit être le complément de l’un et de l’autre... » Le duc de Richelieu, sans laisser d’être un peu surpris de certaines parties du programme, sans rien désapprouver néanmoins, se montrait peu disposé à rentrer au ministère et témoignait plus de défiance de lui-même que d’ambition du pouvoir. Il répondait de La Haye dans des termes tels que De Serre se plaisait à dire « qu’il n’existait pas au monde un être plus loyal ; » mais il laissait peu d’espoir. De Serre ne voulait pas désespérer encore ; il essayait de se persuader à lui-même qu’un appel nouveau et plus pressant du roi serait plus heureux, et, à la lecture des lettres du duc de Richelieu, il écrivait à M. Decazes avec l’animation d’un homme plein de sa pensée : « Vous savez, mon cher ami, que je me sens le courage de tout entreprendre avec vous pour le service du roi et le salut du pays; mais, à la veille d’accomplir des desseins dont la nécessité seule acquitte à mes yeux l’immense responsabilité, nous aurions trop de reproches à nous faire si, rebutés d’une première tentative, nous ne revenions pas à la charge pour obtenir un renfort que je crois décisif. Le plus difficile est fait, c’est qu’il approuve nos projets ; on ne peut les approuver sans faire tout sans exception, tout ce qui pourra les faire réussir... » Le duc de Richelieu se serait peut-être laissé gagner par ce feu, si, au lieu d’être à La Haye, il eût été à Paris.