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la liberté illimitée. Sur trois ou quatre points éternellement contestés, les plus belles lumières jaillissaient de ce débat.

Lorsque des hommes scrupuleux, craintifs, essayaient d’introduire parmi les délits, à côté de « l’outrage à la morale publique, » l’outrage « à la religion, » De Serre se livrait à l’analyse la plus profonde, la plus animée des conditions nouvelles créées par la liberté de conscience, des droits respectifs de la société civile et de la société religieuse. Il déclarait résolument que « la liberté n’était pas moins nécessaire au perfectionnement moral et religieux des peuples qu’à leur perfectionnement politique. » Il montrait le danger d’une religion « armée du glaive des lois, » de cette prétendue protection qui n’a jamais été qu’impuissante ou oppressive. — « Et qui est l’homme, s’écriait-il dans un mouvement d’éloquence, qui est l’homme, cet être faible et passionné, pour offrir au Tout-Puissant le secours de son bras? Veut-il donc s’emparer de sa force ou lui prêter ses faiblesses? Cette vaine présomption ne s’est déjà que trop montrée dans les siècles passés, et l’histoire nous enseigne, dans des pages sanglantes, quels en ont été les funestes résultats. Est-ce dans ces voies que nous voulons suivre nos devanciers? ou croit-on qu’il n’y ait plus parmi nous d’esprit de parti capable de venger sa querelle en affectant de prendre en main celle de la religion? Et qui nous répondra de l’avenir? et qui même du présent?.. » — Lorsqu’on s’efforçait de mettre en doute l’autorité, l’intelligence, l’impartialité du jury, De Serre le défendait en trouvant le moyen d’être nouveau, et il ajoutait : « Quant à l’esprit de parti, malheureusement personne n’est à l’abri de son action, et si vous ne pouvez y soustraire absolument les jurés, le privilège qui leur est refusé ne sera pas accordé davantage aux magistrats; mais du moins, si l’on n’évite pas toujours un jury partial, il n’en résulte que le malheur d’un mauvais jugement. Au contraire, si l’esprit de parti s’est introduit dans une compagnie, dans un tribunal, on ne peut l’en bannir. Les juges inamovibles sont des juges nécessaires. La règle du jugement se trouve alors faussée, elle est faussée pour toujours et pour toutes les affaires. Considération décisive en faveur du jury! » — Lorsqu’à propos de la diffamation on prétendait assurer aux fonctionnaires, en même temps que l’inviolabilité de la vie privée, l’inviolabilité des actes publics, le garde des sceaux repoussait ce privilège en disant : « Eh quoi! demanderait-on qu’en France, dans cette vieille terre de la franchise et de la sincérité, il fût interdit aux Français, à vous-mêmes, de dire la vérité sur les actes publics des hommes publics? J’avoue que j’ai plus que de l’embarras, j’éprouve une sorte de pudeur en agitant cette question. » Chacun de ces discours enlevait un vote.

C’est au courant de cette discussion qu’éclatait un jour en pleine