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de son livre de la Monarchie selon la charte, n’avait pu échapper à la censure. L’idée, les conditions essentielles d’une légalité protectrice n’apparaissaient que confusément et obscurément. Tous les projets présentés pour réaliser les promesses de 1814 avaient été arrêtés en chemin. Le problème restait tout entier. De Serre se proposait hardiment de le résoudre par trois lois qui formaient une sorte de charte de la presse, complément du droit constitutionnel de la France.

Tout se coordonnait dans cette législation fondée sur le principe qu’il n’y avait point, à proprement parler, de délits d’opinion et de presse, qu’il n’y avait que des crimes et des délits de l’ordre commun provoqués ou commis par les discours publics, les écrits, les imprimés, les gravures, les dessins vendus ou distribués. « La presse, disait De Serre, rentre dans le droit commun comme tout autre instrument d’action, et en y rentrant elle ne rencontre aucune faveur qui lui soit propre, aucune hostilité qui lui soit particulière. » Des trois lois conçues et proposées par le garde des sceaux, la première avait pour objet de définir la mesure de participation aux délits et aux crimes, les offenses au roi, l’outrage à la morale publique, la diffamation, et de fixer les pénalités; la seconde précisait les formes de procédure et le caractère de la juridiction appelée à prononcer: la troisième avait trait aux conditions particulières dans lesquelles pouvait s’exercer le droit de publier les journaux. La nouveauté de cet ensemble législatif était de substituer pour les journaux un système de garanties matérielles, de responsabilités personnelles aux procédés préventifs, de créer pour les écrits un régime régulier et d’introduire le jury dans les affaires de la presse. Qui croirait cependant que libéraux extrêmes et ultra-royalistes se liguaient aussitôt pour représenter cette législation « comme le dernier effort du despotisme aux abois, comme une insulte au bon sens public et à la dignité des chambres? » De Serre avait certes le droit de répondre avec une vivacité confiante : « On veut vous faire regarder ces lois comme très restrictives si ce n’est comme destructives de la liberté de la presse; j’ose dire au contraire qu’elles la fonderont. » Il avait raison de croire qu’il accomplissait une œuvre libérale, et la discussion même, — une des discussions les plus sérieuses, les plus brillantes qui se soient déroulées dans nos parlemens, — ne faisait que rehausser le libéralisme de la législation et de l’auteur des lois.

La plupart des questions qui depuis se sont reproduites si souvent étaient déjà agitées par ces généreux esprits qui les tranchaient en toute indépendance, sans se laisser arrêter par ceux qui s’effrayaient de cette émancipation de la presse ou par ceux qui réclamaient