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servait après tout en pouvoir modéré, poursuivant dans ses choix comme dans ses actes une œuvre de fusion et d’éclectisme libéral, s’efforçant de rallier à la monarchie constitutionnelle les intérêts nouveaux, les hommes qui ne passaient pas pour irréconciliables. C’était toute sa politique.

Nul plus que le garde des sceaux ne mettait de sincérité et de feu à la réalisation de cette pensée ministérielle. De Serre la défendait dans le parlement, dans les conseils; il s’en inspirait dans son administration. Il avait avec M. Bellart, le fougueux procureur général de Paris, des altercations intimes dont ses lettres révèlent aujourd’hui la vivacité, et il avait quelque peine à réprimer les excès de zèle de ce chef de parquet qui prétendait exercer un droit direct de poursuite politique malgré ses ordres, qui ne s’inclinait qu’en lui écrivant : « Je désire ne pas laisser votre grandeur se méprendre sur la nature de mon silence; il est de respect, non de conviction. » De Serre ne destituait pas M. Bellart, il ne craignait pas de lui parler avec sévérité et de le contenir. Par une circulaire d’un vrai chef de la justice, il s’efforçait de faire pénétrer dans la magistrature un esprit aussi élevé que nouveau d’équité et d’impartialité. Il entrait vivement, passionnément, par la parole comme par l’action, sous toutes les formes, dans l’œuvre commune du gouvernement; mais ce qui est resté surtout l’expression originale et ineffaçable de son initiative au pouvoir, ce qui était le mieux fait pour donner au ministère sa couleur libérale, c’est la législation sur la presse qu’il proposait peu après son entrée à la chancellerie, dont il obtenait bientôt le vote et la sanction. Cette législation avait été préparée dans une commission où entraient M. Royer-Collard, le duc de Broglie, M. Cuvier, M. de Barante, M. Guizot; elle avait été mûrie et coordonnée par le garde des sceaux lui-même, qui avait surtout le courage d’en accepter le fardeau. Le jour où la discussion commençait, au mois d’avril, Royer-Collard lui écrivait le soir : « Je suis venu de chez moi pour vous voir et vous embrasser. Vous m’avez ravi ! vous devriez bien venir dîner demain, nous causerions de la suite de la loi. » Et De Serre répondait aussitôt : « Il en est de votre suffrage comme de votre amitié; je n’en connais point auxquels j’attache plus de prix. » Rien ne pouvait mieux mettre d’accord ces esprits libéraux.

L’œuvre, en effet, était le fruit d’une pensée réfléchie et sérieusement politique. Jusque-là, depuis la restauration, je ne parle pas de l’empire, la manifestation des opinions n’avait cessé d’avoir pour mesure l’intérêt, la raison d’état du moment ou une tolérance intermittente. La presse avait vécu sous un régime d’exception, sous l’arbitraire administratif, et Chateaubriand lui-même, pour un passage