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avait besoin pour vivre. Le garde des sceaux particulièrement était homme à ne point s’engager à demi, à ne décliner ni les obligations du pouvoir ni les nécessités de la lutte dans la carrière nouvelle où il entrait.


II.

Ce ministère du 29 décembre 1818, qui a duré une année, — une année de combats et d’épreuves, — a été une des expériences les plus brillantes, une des tentatives les plus originales pour fixer la monarchie constitutionnelle dans des conditions modérées. La destinée du ministère était naturellement d’avoir affaire à toutes les oppositions extrêmes, et d’abord aux « ultras » d’autant plus exaspérés qu’ils avaient cru toucher au succès dans cette crise où le duc de Richelieu venait de disparaître. Les royalistes furieux ne pardonnaient un instant aux nouveaux ministres que parce qu’aucun d’eux ne portait, selon le langage des partis, « la tache des cent jours. » Les colères ne restaient pas longtemps suspendues. La guerre éclatait presque aussitôt à propos de deux incidens qui forçaient le cabinet à prendre position, en montrant du premier coup la place et le rôle actif que De Serre allait avoir dans le gouvernement, dans les affaires de la restauration.

Le premier de ces incidens naissait d’une simple discussion de finances. Le baron Louis, homme de probité et de régularité, avait tenu dès son avènement à en finir avec une question qui troublait son esprit correct. Depuis la restauration, on n’avait vécu que de douzièmes provisoires, le budget n’avait pu jamais être voté que sommairement et par fractions, au détriment des intérêts les plus sérieux. Le temps avait toujours manqué pour une discussion utile avec l’année financière commençant au 1er janvier. Le baron Louis, dans la pensée d’assurer le présent et de régulariser l’avenir, avait proposé une combinaison nouvelle de l’année financière qui nécessitait, pour une seule fois, le vote d’un budget de dix-huit mois. Ici, à la vérité, on se heurtait à la charte, qui n’avait prévu qu’un budget annuel. D’un autre côté, ce qui se passait depuis le commencement du règne n’était pas moins irrégulier et devenait à peu près inévitable. Il s’agissait donc de concilier deux impossibilités apparentes par une mesure temporaire qui ne compromettait rien, qui préparait au contraire la régularité définitive et permanente.

Au fond c’était une simple question de bonne foi; mais les finances disparaissaient, la politique seule restait avec ses excitations, et la droite, passionnée tout à coup pour les garanties constitutionnelles, s’armait de la charte contre un gouvernement à qui elle feignait d’attribuer des préméditations d’attentat. M. de La Bourdonnaye,