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que le jeune homme allait y trouver. Ne soyons pas injustes pourtant; si, dans les productions du maître de Dürer que possède le musée de Munich : le Christ au jardin des Oliviers, la Descente de croix et la Résurrection, nous remarquons le réalisme outré, les attitudes heurtées, les gestes anguleux, la maigreur des corps, le manque de goût et la vulgarité des types qui déparent la plupart des ouvrages de ses prédécesseurs, il y faudrait reconnaître aussi, sans même que l’attention fût appelée sur lui par la gloire de son élève, des compositions moins chargées, plus d’unité et plus d’équilibre. On sent, avec son génie particulier, l’influence manifeste de l’art flamand, auquel les œuvres et surtout les gravures de Martin Schœngauer, élève de Van der Weyden, l’avaient initié.

Cependant, malgré ces enseignemens, malgré ses relations avec l’Italie, malgré la curiosité naturelle de son esprit et son étonnante habileté de dessinateur, Dürer ne parvint jamais à se dégager complètement de l’art du moyen âge, tel qu’il était alors compris et pratiqué à Nuremberg. Il en a conservé le goût, l’agencement des étoffes avec leurs plis multipliés et leurs brusques cassures, les affectations d’un naturalisme un peu puéril, la complication et l’étrangeté des inventions. On sent dans son talent comme des courans divers auxquels il cède tour à tour, et les influences combinées du moyen âge et de la renaissance, de l’Italie et de la Flandre, pèsent sur son génie sans qu’il puisse dominer leurs contradictions et les concilier dans un art vraiment national et personnel. Dans ses nombreux dessins, dans ses gravures, dans ses portraits ou ses compositions inspirées directement par la nature, nous reconnaissons l’artiste vraiment supérieur, nous comprenons l’influence qu’d eut sur son époque et jusqu’à un certain point celle dont il jouit encore en Allemagne. Les tableaux du musée de Munich ne suffiraient pas à la lui mériter. Le Christ déposé de la croix semble peu authentique; Lucrèce se donnant la mort est une grande académie qui ne brille pas précisément par le goût ni par le style, et la Nativité porte la trace évidente des collaborations auxquelles les charges de son ménage l’obligèrent trop souvent à recourir. Les compositions les plus importantes de Dürer sont à Vienne ; la Pinacothèque nous révèle surtout chez lui le portraitiste. Ainsi les deux volets de la Nativité, représentant deux membres de la famille Baumgartner, sont certainement supérieurs au sujet principal. Quant aux panneaux qui nous montrent saint Jean et saint Pierre, saint Paul et saint Marc, groupés deux à deux[1], ce sont des œuvres de premier ordre. Dürer y attachait lui-même une certaine importance, puisqu’il les avait offertes

  1. Dürer a gravé, mais séparément, ces quatre figures.