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l’effort serait-il nécessairement douleur? Nous voilà arrêtés dès le premier pas de la théorie. Est-il vrai d’ailleurs que tout effort naisse d’un besoin? Enfin, si nous sommes essentiellement une activité, l’effort qui est la manifestation de cette activité, l’effort qui est la force en action, est en conformité parfaite avec notre nature; pourquoi se résoudrait-il en peine?

Loin de naître d’un besoin, c’est l’effort qui est le premier besoin de notre être, et il se satisfait en se développant, ce qui est incontestablement un plaisir. Sans doute il rencontrera des obstacles, il aura à lutter contre eux, souvent il s’y brisera. Ni la nature ni la société ne sont en harmonie préétablie avec nos tendances, et dans l’histoire des rencontres de notre activité avec le double milieu qui l’enveloppe, les phénomènes physiques et les phénomènes sociaux, il faut avouer que c’est le conflit qui prédomine. De là bien des peines, bien des douleurs; mais ce sont des conséquences ultérieures, non des faits primitifs. L’effort en lui-même, dans un organisme sain, est une joie; il constitue le plaisir primitif le plus pur et le plus simple, celui de se sentir vivre ; c’est lui qui nous donne ce sentiment, et sans lui nous n’arriverions ni à nous distinguer des dehors qui nous entourent ni à percevoir notre être propre perdu dans la molle et vague harmonie des objets coexistans. Qu’il y ait fatigue par l’abus de l’activité qui nous constitue, qu’il y ait douleur par l’effet naturel de cette activité contrariée, cela est trop évident. Mais où prend-on le droit de nous dire que par essence l’activité est un tourment? C’est pourtant en cela que se résume la psychologie du pessimisme.

Un instinct irrésistible porte l’homme à l’action et par l’action soit à un plaisir entrevu, soit à un bonheur espéré, soit à un devoir qu’il s’impose. Cet instinct irrésistible est l’instinct même de la vie, il l’explique et la résume. En même temps qu’il développe en nous le sentiment de l’être, il mesure la vraie valeur de l’existence. L’école pessimiste méconnaît ces vérités élémentaires; elle répète sur tous les tons que la volonté, dès qu’elle arrive à se connaître, se maudit elle-même en se reconnaissant identique à la douleur et que le travail, auquel l’homme est condamné, est une des plus dures fatalités qui pèsent sur son existence. — Sans exagérer les choses d’un autre côté, sans méconnaître la rigueur des lois sous lesquelles se développe la condition humaine et l’âpreté des milieux dans lesquels elle est comme encadrée, ne pourrait-on pas opposer à cette psychologie trop fantaisiste un tableau qui en serait la contre-partie, celui où l’on représenterait les joies pures d’un grand effort longtemps soutenu à travers les obstacles et à la fin victorieux, d’une énergie d’abord maîtresse d’elle-même et devenue maîtresse de la vie, soit en domptant la mauvaise volonté des hommes, soit en