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ce dernier avoue lui-même que, si la philosophie à laquelle il a consacré sa vie trouve plus difficilement des disciples, dans le sens strict du mot, elle obtient plus qu’aucune autre doctrine, à l’heure qu’il est, l’attention, l’intérêt, l’enthousiasme même de cet immense auditoire, vague et flottant, qui, pour n’être pas concentré dans une salle d’université, n’en est pas moins tout-puissant pour faire les réputations des auteurs, les succès des livres et la fortune des systèmes. Les contradictions ne manquent pas non plus, elles abondent, vives et passionnées : il suffit de rappeler le nom du bruyant et ardent Duhring, tout récemment encore docent à l’université de Berlin, Ces discussions, qui ont réveillé la vie philosophique un peu éteinte en Allemagne et comme étouffée sous le bruit des armes, montrent la vitalité croissante de la philosophie qu’elles essaient de combattre dans ses principes et d’arrêter dans ses progrès : curiosité très vive autour du pessimisme, critique acharnée prouvant le succès, c’est cela même qui est un fait à constater et un symptôme à étudier.

Assurément rien au premier abord ne parait plus antipathique à l’esprit français que cette philosophie obscure dans son principe, trop claire dans ses conséquences, qui ôte à la vie tout son prix et à l’action humaine toute sa valeur. La passion de la lumière, le goût de la logique, l’ardeur au travail, l’habitude de l’activité utile, voilà de quoi nous défendre suffisamment, à ce qu’il semble, de ce côté du Rhin, contre ces influences subtiles et dissolvantes. Et pourtant il y a eu, même en France, des atteintes irrécusables de ce mal qui tend à devenir cosmopolite, dans certains esprits que le culte de l’idéal et la croyance au devoir semblaient devoir préserver de toute contagion semblable. Nous n’apprendrons rien à nos lecteurs en leur rappelant que plus d’une page des Dialogues philosophiques, récemment publiés, a une couleur prononcée de pessimisme. Sans doute il ne s’agit plus ici d’une de ces théories violentes, sans nuance, qui prétendent résoudre l’énigme totale d’un seul coup et se contentent de retourner contre lui-même le dogmatisme des optimistes en opposant un but négatif ou l’absence de but aux fins raisonnables et divines, et le mépris absolu de la vie à l’estime qu’en doivent faire raisonnablement les hommes. Il y a bien des atténuations, des restrictions de toute sorte, des apparences même de contradiction à l’idée pessimiste qui paraît avoir été la grande tentation de l’auteur pendant qu’il méditait ou qu’il écrivait; ces conflits d’inspiration et de pensée contraires, exprimés avec une sincérité parfois dramatique, ne sont pas un des moindres attraits de cette œuvre troublante et troublée. Mais enfin il n’est guère contestable qu’aux influences jusqu’alors dominantes de Kant et de Schelling ne soit venue se mêler, dans l’inspiration de ce livre, l’influence de