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d’idées. Il y a un pessimisme empirique qui se concilie très bien avec l’optimisme métaphysique : c’est le point de vue où il faut se placer pour juger la question dans les principaux représentans de la philosophie allemande depuis Kant. Ils sont unanimes dans l’appréciation sévère de la vie considérée par ses côtés inférieurs et dans la réalité sensible, et néanmoins, dans l’ensemble de ces doctrines, ce qui domine, c’est la solution optimiste du problème de l’existence. Kant nous montre sans doute combien la nature est peu favorable à la félicité humaine; mais la vraie explication de la vie, la dernière raison des choses doit être cherchée en dehors de l’ordre sensible, dans l’ordre moral, qui est après tout le seul intérêt du souverain législateur et la seule explication de la nature elle-même. Il en est de même de Fichte, pour qui les phénomènes sensibles, l’apparence de la matière ne sont qu’une scène transitoire préparée pour une fin unique, l’accomplissement du devoir, l’action libre du moi qui poursuit, dans sa réaction contre le monde extérieur et dans son conflit avec la sensation, le plus haut caractère qu’il puisse atteindre. Quant à Schelling, dans sa seconde manière, marquée par son célèbre ouvrage Philosophie et religion, c’est à la doctrine chrétienne de la chute et de la rédemption qu’il emprunte le symbole de sa métaphysique. Il y retrouve l’histoire transcendante du déchirement de l’unité primitive, la certitude du retour final à l’unité, il y associe la nature elle-même, rachetée et spiritualisée avec l’homme, après être tombée avec lui dans le péché et dans la matière. Ainsi, après avoir mis sous nos yeux les plus tristes peintures de la nature assombrie et de la vie désolée par le mal, Schelling nous amène à une solution finale, qui est incontestablement une sorte d’optimisme théologique. C’est aussi là, sous d’autres formes, la dernière conclusion de Hegel sur la valeur du monde et de la vie. L’idée, d’abord divisée, errante hors de soi, tend à revenir à soi par la conscience du monde. Ce devenir de l’esprit, ce processus du monde qui se continue sans cesse à travers le drame changeant des faits, voilà la vraie théodicée, la justification de Dieu dans l’histoire.

Assurément c’était encore là de l’optimisme, celui de l’évolution universelle et du progrès nécessaire; dans toutes ces doctrines, il y a un but certain assigné au mouvement de l’univers; une raison divine enveloppe comme dans un tissu merveilleux tous les phénomènes, même les plus insignifians ou les plus étranges de la nature et de l’histoire, et, les attirant dans des séries déterminées, les empêche d’extravaguer au hasard ou de se perdre dans l’inutile; c’est un ordre, providentiel à sa manière, qui s’accomplit à chaque moment et dont le penseur, parvenu au vrai point de vue, devient l’intelligent témoin. Ces idées ont dominé l’esprit allemand dans