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Vous exprimez d’abord le regret que je n’aie pas appuyé de preuves suffisantes mon assertion, contraire, je le reconnais, à l’opinion du plus grand nombre des historiens qui ont traité le même sujet, concernant les origines du druidisme. D’après moi, ce sacerdoce serait autochthone, un fils du genius loci, et non pas une importation d’outre-Rhin ou d’outre-Manche, et vous vous étonnez de ce que je n’aie pas cité le passage des Commentaires (Bell. Gall, VI, 13) où César dit textuellement que l’on croit (existimatur) la doctrine druidique originaire de l’île de Bretagne et transportée de là en Gaule.

Il me semblait pourtant avoir suffisamment montré qu’on ne pouvait ajouter qu’une foi très médiocre aux renseignemens superficiels et transmis avec quelque dédain par le conquérant de la Gaule surtout ce qui a rapport au druidisme. Ses Commentaires eux-mêmes fournissent en abondance les élémens de cette démonstration. Cela reconnu, était-il bien nécessaire de discuter cette allégation que César lui-même ne garantit nullement (existimatur), et dont son propre récit autorise si fortement à douter ? Quelle trace d’une puissante institution sacerdotale établie en Bretagne trouvons-nous dans son narré de la double expédition qu’il dirigea contre l’île britannique, c’est-à-dire, dans l’hypothèse, contre la « terre-sainte » de la religion druidique ? Comment se fait-il que, voulant y porter la guerre, il ne trouve personne qui puisse le renseigner sur ce pays, ses institutions, ses ressources guerrières, vu, dit-il, que, seuls, quelques marchands vont trafiquer sur les côtes et ne pénètrent jamais à l’intérieur (Bell. Gall., IV, 20) ? C’est pourtant là (VI, 13) que ceux qui veulent étudier de près la doctrine druidique, et il y en a beaucoup, se rendraient pour la plupart. Et Tacite ne mérite-t-il pas plus de confiance (Agric, 11), quand il nous dit que la religion gauloise fut portée dans l’île de Bretagne par les Gaulois qui en vinrent occuper la partie méridionale ? D’ailleurs est-il vraisemblable que ces Gaulois d’outre-mer, bien inférieurs en civilisation relative à ceux du continent, aient fait la conquête sacerdotale de la transalpine entière au point de la transformer, pour quelque temps au moins, et comme cela résulterait des données des Commentaires, en une véritable théocratie ?

C’est une raison du même genre qui me porte à rejeter les hypothèses avancées par les historiens qui feraient plus volontiers venir le druidisme en Gaule avec une des immigrations sorties de la Germanie. Tout porte à croire que les nouveau-venus furent chaque fois très inférieurs aux anciens occupans du sol (je parle, bien entendu, des époques où commencent à luire quelques rayons d’histoire), et qu’ils adoptèrent la religion du lieu bien plutôt qu’ils ne la fondèrent. Le fait reconnu par tous les historiens, sauf par quelques Allemands jaloux, je ne sais trop pourquoi, de nos druides, que l’on ne découvre aucun