Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lutionnaire. Ramenée à des proportions toutes légales, l’enquête n’aurait rien d’imprévu ; elle n’aurait été qu’un incident de plus qui n’empêcherait pas le sénat de reprendre un rôle de médiateur pour lequel il est fait. C’est là toute la question qui s’agite aujourd’hui.

La France a le privilège d’occuper le monde de ses dissensions au moment où cette autre lutte singulière et terrible engagée en Orient se déroule, elle aussi, sur son double théâtre, avec des péripéties toujours nouvelles, et reste plus que jamais la grande affaire européenne. L’empereur Alexandre II, qui tient à partager les bons et les mauvais jours de son armée, et qui vient de voir tomber frappé à mort un des princes de sa famille, le jeune prince Serge de Leuchtenberg, l’empereur Alexandre aurait dit récemment, assure-t-on, que, si les Turcs avaient été servis par l’été, les Russes allaient trouver dans l’hiver un allié ! A voir la marche nouvelle des affaires militaires en Orient, ce n’est point impossible. L’hiver pourrait bien sans doute n’être pas un allié toujours sûr, et ne point laisser jusqu’au bout aux Russes une liberté complète d’opérations, surtout d’approvisionnement. Jusqu’ici il n’a suspendu les hostilités ni en Europe ni en Asie, et après les surprises de l’été viennent les surprises de l’hiver. La guerre en effet a ses retours ; la fortune des armes est changeante, et le fait est que, si les Russes ont commencé cette dangereuse campagne par des mécomptes auxquels ils ne s’attendaient pas, ils reprennent depuis quelques semaines un ascendant sensible partout où ils sont engagés. Ils le doivent, cela n’est point douteux, aux forces considérables qu’ils ont appelées de toutes parts, qu’ils auraient dû avoir dès le premier moment, et plus encore peut-être à la prudente résolution qu’ils ont prise de revenir à un système de guerre plus méthodique.

Là est surtout le secret des derniers événemens qui depuis un mois ont changé si complètement la face de la campagne en Arménie. Les Russes, à vrai dire, avaient commencé leurs opérations d’Asie, de même que leurs opérations d’Europe, avec une témérité qui dénotait chez eux un étrange excès d’illusion et de confiance. Ils avaient divisé ce qu’ils avaient de forces, employant une partie de leur armée à mettre le siège devant Kars, le poste avancé, la citadelle de l’Arménie turque, se portant en même temps sur Batoum, sur Ardahan au nord, sur Erzeroum par le sud, par la route de Bayazid. Le résultat de cette stratégie aventureuse a été pour eux une série de sanglans revers, à la suite desquels ils ont été obligés de se rejeter sur leur territoire, vaincus, décimés, suivis par les Turcs eux-mêmes. Ils ont payé cher les erreurs d’une campagne mal engagée, et, chose curieuse, singulière vicissitude de la guerre, ce sont maintenant les Turcs qui semblent avoir commis les mêmes fautes, qui viennent à leur tour de les expier cruellement. Le malheureux Moukhtar-Pacha n’a pas joui longtemps de son titre de