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laissé traîner à l’ouverture de la session avec un ministère dont la seule présence ressemblait à un défi, à une préméditation de résistance.

On a tergiversé, on s’est perdu en toute sorte de consultations et de colloques plus ou moins compromettans, lorsqu’il fallait se décider simplement et franchement sans avoir l’air de marchander avec les nécessités de la situation. M. le président de la république, dira-t-on, ne peut cependant se livrer sans réserve à la mobilité des influences parlementaires ; il ne peut choisir ou accepter qu’un ministère conservateur. C’est son honneur et son devoir de résister, de rester la personnification vivante de toutes les garanties conservatrices ! — Que signifie cette résistance dont on parle sans cesse, dont on semble faire le mot d’ordre d’une politique ? La situation, telle qu’elle a été faite, est en vérité assez claire. Le gouvernement, à ses risques et périls, a cru, il y a six mois de cela, que la chambre des députés ne représentait pas l’opinion de la France, que dans les élections de 1876 il y avait eu des confusions et des équivoques. Il a demandé au sénat son concours, au moins son aveu, pour la dissolution, il a obtenu ce qu’il demandait. Il exerçait un droit qu’il tient de la constitution, et ce droit, on peut le dire, il l’a exercé sans scrupules, sans mesure, à la faveur de cet interrègne parlementaire pendant lequel il a déployé toutes les ressources d’un pouvoir presque sans contrôle. Le pays, malgré l’excès des pressions administratives, s’est prononcé librement, comme il l’a voulu, en renvoyant à la chambre la plus grande partie de la majorité républicaine qui avait été frappée. Voilà le fait ! Si on avait le droit d’interroger le suffrage universel, le suffrage universel a eu certainement à plus forte raison le droit de répondre, et lorsqu’aujourd’hui on parle sans cesse de protester, on ne voit pas qu’en réalité c’est contre une décision du pays qu’on proteste, en se plaçant aventureusement, dangereusement, dans l’arbitraire des interprétations personnelles. De quelle autorité s’armerait-on pour une résistance aussi extraordinaire ? D’où tire-t-on ce droit de résister que des esprits échauffés de réaction ne cessent d’invoquer ? On n’a pas réfléchi sans doute que ce serait là engager sans mandat, sans raison sérieuse, une terrible partie contre la souveraineté nationale elle-même manifestée par un vote tout récent.

Que cette manifestation régulièrement provoquée, régulièrement accomplie, doive être maintenue jusqu’au bout dans les limites constitutionnelles et ne point usurper sur les autres droits également consacrés par la constitution, rien de mieux : c’est la loi et c’est aussi le conseil d’une politique prévoyante. Que M. le président de la république, en tenant compte des votes du pays, garde ses préoccupations conservatrices, que dans ses combinaisons il veuille faire la part du sénat comme de la chambre des députés, rien de mieux encore ; mais pour une œuvre de ce genre, œuvre d’équité, de modération, destinée à concilier le res-