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établir une progressive, ce serait le renversement de toutes les lois. On ferait croire que la société n’a rien à faire avec la justice et l’économie politique.

Il ne faut pas s’y tromper, l’impôt progressif est la dernière formule du socialisme. « Le premier pas à faire pour arriver à la transformation de la société, dit le programme de l’Internationale qui envahit aujourd’hui tous les états, est d’obtenir une loi qui limite l’extension de la propriété immobilière, et, qui, par l’application de l’impôt progressif, arrête l’accumulation des capitaux et de la richesse mobilière entre les mêmes mains, en les rendant improductifs pour les détenteurs. » C’est certainement aussi la formule la plus dangereuse, car on pourrait l’admettre d’une façon inconsciente, sans se rendre compte des résultats qu’elle produirait. On ne croit plus guère en France au communisme, aux avantages de la propriété collective, ni aux bienfaits de l’état se faisant grand entrepreneur de toutes choses ; ce sont des panacées qui ont perdu de leur prestige. La foi dans les sociétés coopératives a également beaucoup diminué ; mais on croit toujours, et aujourd’hui plus que jamais, à l’efficacité de l’impôt progressif, d’abord, pour établir une prétendue égalité dans les charges qui pèsent sur les citoyens ; ensuite, pour réaliser je ne sais quel idéal dans la vie à bon marché. Il faut y faire d’autant plus d’attention, que les mauvais effets de la mesure, si elle était essayée, ne se feraient pas sentir tout de suite, ils se produiraient petit à petit, et on ne s’en apercevrait que lorsque les capitaux auraient fui, que la richesse aurait diminué, en un mot, lorsque le désastre serait irréparable. Ah ! si l’expérience ne devait pas coûter si cher, nous conseillerions fort de la tenter, car il n’y a qu’elle qui serait capable de désabuser les gens de bonne foi se ralliant à l’impôt progressif comme à une idée de progrès. Qui pourrait dire où on en serait encore en fait d’illusions au sujet des sociétés coopératives, sans l’organisation de quelques-unes d’elles, et l’assistance même qu’elles ont reçue de l’état ? On les a vues à l’œuvre, on a examiné les résultats qu’elles avaient donnés, et comme ces résultats ont été médiocres, que beaucoup de ces sociétés ont même fait faillite, le nombre des adhérens diminue de jour en jour ; mais ici le danger était limité, l’état pouvait bien, sans grand inconvénient, sacrifier quelques millions à l’expérience. L’économie sociale, les lois de la production n’étaient pas profondément troublées parce qu’un certain nombre d’ouvriers se réunissait en association et poursuivait une chimère ; il en serait autrement avec l’impôt progressif : une fois établi, on voudrait que l’expérience fut complète, et, pour qu’elle le devînt, il faudrait que les maux que nous avons indiqués se