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des choses, elle est la conséquence naturelle de la différence des aptitudes, de l’ardeur plus ou moins vive au travail, des habitudes d’ordre ou de désordre, de l’épargne des uns et de la prodigalité des autres, et tant qu’on n’aura pas rendu tout le monde également capable, également actif, économe et prévoyant, il n’y aura pas d’égalité possible dans la répartition de la richesse. Il faut en prendre son parti et se dire qu’après tout, puisque la fortune ne peut s’amasser de même dans toutes les mains, il est encore profitable à tous qu’elle s’amasse dans quelques-unes. Elle sert à seconder le travail, qui est la source du bien-être général. Or l’impôt progressif est un obstacle sérieux au développement de cette richesse, il diminue l’envie qu’on a d’accroître sa fortune au-delà d’un certain chiffre. L’homme est né pour travailler, c’est sa destinée ; mais il a besoin, pour le faire avec toute l’activité dont il est capable, d’un grand stimulant, et ce stimulant il ne le trouve que dans la pensée d’acquérir la richesse. S’il a la perspective qu’après s’être donné beaucoup de peine et avoir travaillé avec ardeur une partie notable de ses économies devra passer au fisc, il se reposera avant le moment voulu pour le repos, et la fortune publique y perdra ce qu’il y aurait ajouté encore en travaillant plus longtemps,

Dira-t-on qu’après tout il a encore assez de stimulant si on lui laisse les trois quarts ou même la moitié seulement de son revenu, au-delà d’un certain chiffre ? Cela pourrait être si tous les pays avaient la même règle, étaient taxés de la même manière. Mais, comme il y en aura toujours qui seront plus sages et mieux avisés que les autres et qui n’établiront pas l’impôt progressif, l’homme intelligent, laborieux, qui voudra arriver à la fortune et en faire profiter ses héritiers, s’en ira dans ces autres pays, et l’état qui aura l’impôt progressif se verra privé du concours de ses meilleurs citoyens et des ressources dont ils disposent. Cela est déjà arrivé plus d’une fois. La république de Florence a été ruinée pour avoir voulu, sous l’influence des masses démocratiques, établir une contribution sur les riches. Il en a été de même en Hollande, et depuis on a conçu dans ce pays une telle répugnance pour l’impôt progressif qu’on ne veut même plus de taxe sur le revenu, comme pouvant conduire au premier. Pitt en 1786 avait cherché aussi à établir une taxe graduée sur les boutiques ; il fut obligé d’y renoncer, tant la réprobation qu’elle soulevait était grande. On peut donc dire que la question est jugée en fait aussi bien qu’en théorie. L’impôt progressif est la ruine de la société. Il y aura peut-être à la suite des fortunes plus égales, mais, la somme totale de la richesse publique ayant diminué, l’égalité se fera dans la misère. Est-ce là ce qu’on veut ? C’est peut-être en effet l’objectif de quelques envieux, et il y en a