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introduire un pareil arbitraire dans les lois fiscales ? Il faut répéter ce qu’a dit M. Thiers dans son excellent livre de la Propriété : « Nous aimons mieux une règle, quelque dure qu’elle puisse être, mais une règle qui soit stable, fixe, et qui ne nous rende pas dépendans de la vertu et de la modération des personnes. » On peut ajouter aussi l’opinion d’un des hommes distingués qui ont travaillé à la confection de la constitution des États-Unis et de l’état de New-York. M. Alexandre Hamilton, ayant à s’expliquer sur la nécessité de soumettre les taxes à une règle uniforme et fixe, disait : « Le génie de la liberté réprouve tout ce qui est arbitraire ou même discrétionnaire dans les taxes. Il convient que chaque homme connaisse par une règle générale et définitive la part de propriété que l’état lui demande. Quelle que soit la liberté dont nous puissions nous vanter en théorie, elle n’existera pas en fait lorsque l’arbitraire présidera à l’établissement des taxes. »

On déclarera qu’après tout on ne fait aucune innovation, que le principe de l’impôt progressif existe déjà dans nos lois, qu’on l’applique tous les jours, et on citera l’exemple de la taxe mobilière qui, dans certaines grandes villes, est perçue d’après une échelle progressive. Il y a là, une grave erreur ; si nous consultons la cote mobilière d’un habitant de Paris, pour prendre l’exemple le plus saillant, nous voyons en effet que les loyers qui servent de base à cette cote sont affranchis de toute contribution au-dessous de 400 francs, puis imposés à 7 pour 100 de 400 à 600 francs, à 8 de 600 à 700 francs, à 9 de 700 à 800 francs, à 10 de 800 à 900 fr., à 11 de 900 à 1,000 fr., et enfin à 12 pour 100 à 1,000 francs et au-dessus ; mais sur quoi repose cette progression ? Une loi de 1832 et une autre de 1846 ont accordé aux municipalités, dans les grandes villes, la faculté de racheter, au moyen d’un prélèvement sur les octrois, une part de l’impôt mobilier auquel les habitans sont soumis, et de faire profiter de ce rachat les petits loyers, soit en les exonérant de toute contribution, soit en atténuant celle qu’ils auraient à supporter suivant une répartition régulière. C’est ainsi qu’à Paris tes loyers au-dessous de 400 francs ne paient rien du tout, et ceux qui viennent après paient moins que ceux qui sont beaucoup plus élevés. Mais le principe de la proportionnalité n’est ici violé qu’en apparence, la loi veut en même temps que la faculté accordée aux conseils municipaux d’exonérer certains loyers en tout ou en partie soit subordonnée à la condition que le montant de ces exonérations, totales ou partielles, ne dépassera pas le prélèvement opéré sur l’octroi, de telle sorte qu’aucune catégorie de loyers ne sera imposée à une contribution supérieure à celle qui lui aurait été attribuée si le contingent mobilier restant à répartir après déduction des