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supprimer ou modifier sensiblement les impôts indirects, en leur en substituant d’autres, bien entendu, tantôt pour établir une taxe générale sur le revenu ou sur le capital, tantôt enfin pour essayer, sous une forme d’abord modérée, la taxe progressive. On parle et on agit absolument comme s’il n’y avait pas de principe sur la matière, et qu’on fût livré sans règle aux caprices du législateur. Nous voudrions aujourd’hui encore revenir sur le sujet, le serrer d’un peu plus près, et examiner à quoi tiennent toutes ces erreurs qu’on entretient dans le public, soit-sur les taxes indirectes, soit sur la taxe progressive. Commençons par celle-ci.


I

Adam Smith a établi, en fait d’impôt, des règles qui sont, pour ainsi dire, devenues classiques, et dont la première, la plus importante, est celle-ci : « Les sujets de l’état doivent contribuer au soutien du gouvernement, chacun le plus possible en proportion de ses facultés, c’est-à-dire en proportion du revenu dont il jouit sous la protection de l’état. » voilà qui paraît bien clair : tout citoyen doit contribuer en raison de ses facultés, et, pour qu’il n’y ait pas d’équivoque possible sur le mot facultés, l’auteur l’explique en disant que c’est en raison du. revenu dont on jouit sous la protection de l’état. Cette théorie pourtant n’a pas été admise sans restriction par ceux qui ont eu à la commenter. Adam Smith lui-même, dans un autre passage de son livre, semble s’être corrigé en déclarant « qu’il ne serait pas très déraisonnable que les riches contribuassent aux dépenses de l’état, non-seulement en proportion de leur revenu, mais encore de quelque chose au-delà de cette proportion. » Pas très déraisonnable, on remarquera l’expression ; elle prouve qu’Adam Smith, en faisant cette concession, ne se sentait plus solidement sur le terrain des principes, il transigeait avec eux, on ne sait pour quelle considération. J.-B. Say a été beaucoup plus explicite en faveur de l’impôt progressif[1]. « Une contribution simplement proportionnelle, a-t-il dit, n’est-elle pas plus lourde pour le pauvre que pour le riche ? L’homme qui ne produit que la quantité de pain nécessaire pour nourrir sa famille doit-il contribuer exactement dans la même proportion que celui qui, grâce à ses talens distingués, à ses immenses biens-fonds, à ses capitaux considérables, non-seulement jouit et procure aux siens toutes les jouissances du luxe le plus somptueux, mais de plus accroît chaque année son trésor ? Cependant, à l’époque de la révolution française, plusieurs

  1. Voyez le Cours d’économie politique, par J.-B. Say, p. 398 et suiv., t. II. Collection des économistes, par Guillaumin.