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l’enfant, on ne sait jamais. Le soir même, les Grecs firent une sédition ; on m’accusa d’être l’auteur du trouble ; le mollah, mon ennemi, assembla le medjliss et disposa tous les esprits contre moi. J’avais eu l’imprudence de ne pas faire encore mon présent de bienvenue au nouveau pacha, arrivé de la veille ; il fut facilement persuadé par mes adversaires et me destitua immédiatement de ma place. Comprenant que l’orage ne s’arrêterait pas là, je pris en hâte mon petit avoir, que j’avais converti au fur et à mesure en diamans, comme nous faisons tous pour nos fortunes sans cesse menacées : je cachai les pierres précieuses dans mon fez, et je courus, la nuit venue, à la maison du juif. Zacharias me reçut en tremblant dans l’arrière-chambre où il célébrait la fête avec sa famille sous les sept chandeliers : je lui rappelai qu’il me devait la vie et l’adjurai de garder fidèlement mon dépôt durant une absence que j’allais faire. Il enterra les pierres en jurant par le Dieu d’Abraham que tout ce qu’il possédait m’appartenait, puis il me pria de quitter sa maison, pour ne pas attirer le malheur sur son toit. Un ami vint m’apprendre au même instant que le pacha me faisait chercher pour comparaître en justice, sous l’accusation d’avoir détourné les deniers de l’état ; ordre était donné aux zaptiés, qui me connaissaient bien, de veiller à toutes les portes de la ville et de ne pas me laisser échapper.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Je me rendis au khân des Persans, d’où je savais qu’une caravane de morts devait partir le lendemain pour Kerbéla. Tu n’ignores pas que les Persans de tout le royaume et des provinces de Turquie portent leurs parens défunts à la ville sainte de Kerbéla, et qu’il arrive là, chaque jour de fort loin des convois de cadavres. Je comptais qu’un Persan ne refuserait jamais l’occasion de gagner quelques tomans en jouant un bon tour aux Turcs. Je proposai à l’un d’eux, qui conduisait un oncle à Kerbéla, de me cacher dans un cercueil et de me charger sur son chameau pour faire contre-poids à son oncle, jusqu’à la sortie de la ville. Il accepta, et je pus ainsi franchir les portes sans être inquiété. Je suivis la caravane jusqu’à Kerbéla, et je vécus misérablement durant une année, sur la frontière de Perse, d’un petit commerce d’épices et d’aromates pour embaumer les morts. Cette année écoulée, je pensai que mon affaire devait être oubliée, et, ayant appris par un voyageur le changement du pacha qui m’avait poursuivi, je retournai à Bagdad. J’entrai le soir dans la ville et je vins frapper à la maison du juif. Après une longue attente, un jeune homme, que je reconnus pour son fils, entr’ouvrit la porte, me demandant ce qui m’amenait. Je me nommai et réclamai le dépôt confié à son père. « Hélas ! s’écria le juif en éclatant en sanglots,