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mise, comme sa force, sa santé, sa vie, au service de la France. Peut-être cependant exagérait-il ce péril : la reine mère n’était plus ce qu’elle avait été ; elle était pareille à un ressort brisé. Nous la voyons désormais plus isolée, vivant avec quelques intimes et presque résignée à un sort qu’elle n’a plus la force de changer. Elle assiste sans émotion aux plus grands événemens. Pour les émigrés français, bien qu’engagés avec l’Espagne, ils ne sont pas insensibles aux grands coups de la fortune qui peuvent tomber sur leur pays ; ils comprennent que la politique de Richelieu, liée à la ligue protestante, a subi une sensible défaite à Nordlingen, et ils se sentent battus avec les Suédois.

Le courrier qui apporta la nouvelle de Nordlingen à Monsieur le trouva sur l’Escaut, jouant aux cartes sur une galère avec ses gentilshommes. Dans son saisissement, il jeta à la rivière les cartes et l’argent qui étaient devant lui : mouvement de colère dont il faut savoir gré à ce jeune prince, que de méchans courtisans avaient promené dans un dédale de fautes. Il jura devant sa mère et devant le père Suflren qu’il ne tirerait pas un coup de pistolet contre son pays avec les gens qu’on levait pour lui. (Lettre du marquis d’Aytona à Philippe IV ; Bruxelles, le 11 octobre 1634.) Les Espagnols pensèrent un moment à l’arrêter : les Français tenaient des propos imprudens, et le peuple de Bruxelles commençait à les regarder de très mauvais œil. Monsieur était plus désireux qu’il ne l’avait jamais été de rentrer en France. Richelieu, de son côté, comprit après Nordlingen qu’il ne fallait pas laisser un fils de France aux mains de l’Espagne. Autant il avait été implacable contre la reine mère, qui n’était rien hors de France, étrangère comme elle était, sans droits à la couronne, autant il se montra conciliant avec Monsieur. Il lui envoya le traité d’Écouen, que Monsieur pouvait très bien accepter et qu’il accepta en effet. Gaston, pour échapper aux Espagnols, dut garder le secret à tout le monde, même à sa mère et à sa femme ; il partit avec quelques gentilshommes pour la chasse au renard ; la petite bande sema sa route de chevaux fourbus et réussit à entrer à la Capelle.

La fuite de Monsieur faisait à la reine mère une situation plus difficile ; on l’en crut complice, la mauvaise humeur des Espagnols et des Belges dut naturellement se tourner sur sa petite cour : elle ne fit rien paraître de ses sentimens ; au fond de son cœur, elle approuva peut-être son fils. Ce n’était plus sa propre volonté qui la tenait hors de France, c’était l’inexorable volonté de Richelieu.

Elle vit arriver dans les Pays-Bas l’un des vainqueurs de Nordlingen, le jeune cardinal-infant don Fernando, qui fit son entrée à Bruxelles à cheval et vêtu en soldat, avec l’épée que Charles-Quint avait portée à la bataille de l’Elbe. L’infant traversa la ville avec