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sentimens dont les natures les plus hautes et les plus généreuses peuvent seules se défendre.

Richelieu, qui excellait à diviser les hommes, avait offert au duc de Lorraine de lui rendre Nancy si Gaston lui livrait la princesse Marguerite. Monsieur repoussa cette proposition avec indignation ; mais le cardinal ne demandait souvent le plus que pour avoir le moins. Monsieur eut l’offre de la Champagne, de la Bourgogne, avec ses apanages, ses pensions : le cardinal allait très loin pour le détacher de sa mère et le ramener seul en France.

Dans ces conjonctures, Marie de Médicis prit une grande résolution : son orgueil plia enfin, elle se décida à négociée pour son propre compte ; elle espérait qu’il y avait au fond du cœur de Louis XIII quelque remords à son endroit ; elle envoya au roi un gentilhomme, M. de Villiers Saint-Genest. On ne sait au juste ce qui se passa dans les deux, audiences données à Saint-Genest. Richelieu s’était promis de ne pas laisser rentrer la reine mère ; il la représentait sans cesse au roi comme complice de toutes les tentatives de meurtre, vraies ou supposées, qu’on faisait contre sa personne ; s’il faut en croire les Mémoires de Richelieu, le roi se serait rendu l’écho de ces accusations ; il était notamment convaincu de la culpabilité du père Chanteloube, qui avait été condamné par le parlement de Metz comme complice d’un certain Alfeston, accusé de complot contre la vie de Richelieu ; il aurait même remarqué qu’Alfeston, quand on l’avait arrêté, était monté sur un cheval nommé « le grand hongre, » qui sortait de l’écurie de la reine mère ; il aurait enfin déclaré « qu’il ne pouvait s’accommoder avec sa mère, tant qu’elle aurait auprès d’elle des gens comme le père Chanteloube et Mme du Fargis. » Saint-Genest, revenu à Bruxelles, fit un récit qui corrobore à peu près le récit de Richelieu ; le roi, troublé par ces entretiens, où il avait laissé percer plus de tendresse, de curiosité, de tristesse que n’eût voulu Richelieu, demanda au conseil, si, oui ou non, il devait laisser rentrer sa mère. Richelieu fit contre Marie de Médicis un réquisitoire en règle, et le conseil décida que, si la reine voulait livrer les complices des tentatives d’assassinat dirigées contre le cardinal, elle devait être reçue dans le royaume, et vivre dans une de ses maisons, loin, de la cour. Cette première tentative de la reine mère avait échoué, parce qu’elle avait voulu tout obtenir du roi et rien du cardinal.

Il ne faut pas s’étonner si les dissentimens entre la reine mère et le duc d’Orléans s’accentuèrent après que tous deux eurent médité de faire une paix séparée. Ceux que Saint-Simon devait plus tard appeler dans sa langue énergique les « valets intérieurs » faisaient tout ce qui dépendait d’eux pour les aggraver : le marquis du Fargis s’était rendu odieux à la reine mère ; Monsieur nomma la