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La reine mère n’avait plus que le choix entre le retour à Compiègne et le passage de la frontière. Elle continua sa route, et entra le 20 juillet à quatre heures à Avesnes. Elle envoya sur-le-champ un gentilhomme à l’infante pour lui annoncer son arrivée, un autre en Lorraine pour avertir le duc Charles et Monsieur. Le troisième alla porter à Louis XIII une lettre embarrassée où elle accusait Richelieu de lui avoir fait fermer les portes de la Capelle et de l’avoir contrainte à sortir du royaume, « tout ce qu’il désirait de moy et ce que je craignais le plus » (Mercure français), Richelieu dicta la réponse de Louis XIII : « Les appréhensions que vous témoignez avoir eues à Compiègne de vostre vie n’ont pas plus de fondement que la poursuite que vous mettez en avant vous avoir esté faite dans vostre retraite et l’intelligence que vous escrivez que l’on a eue avec le fils aîné du sieur de Vardes. » Le cardinal fît en même temps écrire par Balzac, qui était à sa dévotion, un « discours d’un vieil courtisan désintéressé sur la lettre que la reine mère du roy a escrite à sa majesté après estre sortie du royaume. » M. Cousin a cité, dans sa biographie de Mme de Hautefort, une deuxième lettre que la reine mère écrivit au roi ; elle y répète que sa vie était en danger, qu’elle a voulu se couvrir de la persécution du cardinal : « Je ne lui puis relâcher l’intérêt de mon honneur ; il faut auparavant, s’il vous plaît, qu’il soit juridiquement condamné ; et lors, si vous lui donnez la vie, je lui rendrai aussi volontiers tous mes ressentimens. » Loin de faire juger le cardinal, comme le lui proposait sa mère, le roi avait pris hautement son parti, il avait même convoqué le parlement au Louvre pour lui donner une marque publique de confiance. « Quiconque l’aymera, m’aimera et je le sauray bien maintenir. »

La petite cour de la reine s’était grossie à Avesnes ; elle y attendit ses carrosses, ses litières et ses mulets, « et bientôt, dit M. Henrard, on la vit, comme au Luxembourg, manger en public, entourée de ses gardes le pistolet au poing. » Elle y reçut le marquis d’Aytona, venu pour la complimenter. Marie de Médicis ne voulut pas tout de suite elle-même parler politique, elle dit finement à d’Aytona qu’elle était au pouvoir du roi d’Espagne, qui pourrait faire d’elle ce qu’il voudrait ; elle attendait encore un retour de son fils : elle désigna cependant M. de La Vieuville, le surintendant des finances disgracié par Richelieu, qui était venu la rejoindre pour entrer en pourparlers avec le gouvernement espagnol. L’infante de son côté désigna Rubens, que Marie de Médicis avait connu familièrement quand il décorait les salles de son palais du Luxembourg. Rubens s’enflamma pour la reine malheureuse, et bâtit de grands projets où il mettait, outre les Pays-Bas, les ducs de Guise et d’Épernon, le duc de Bouillon, maître de Sedan, le duc de Candale, les huguenots français ; il