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surprendre une pauvre femme destituée de tout conseil, excepté de celui de Dieu. » Les libelles, répandus à profusion, représentaient le roi tantôt comme un fils dénaturé, tantôt comme la victime et la dupe d’un nouveau Concini. La reine mère écrivait au roi en parlant du cardinal : « Il sçait bien que j’ay trop de courage pour souffrir cette honte publique en cent ou six vingt lieues de chemin qu’il me veult faire faire contre ma volonté, sans y trouver la fin de ma vie qu’il veult sacrifier à la sûreté de la sienne et de ses ambitieux desseins que vous connaîtrez un jour, mais trop tard. » Elle déclara enfin que, si son fils voulait la voir, il ne la verrait qu’à Compiègne, d’où elle ne sortirait que par la violence.

Monsieur, pendant qu’il était en Bourgogne, avait écrit à l’infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas : elle lui avait envoyé un ambassadeur et l’avait invité à passer en Lorraine à la cour de Charles IV ; elle avait en même temps demandé ses ordres à son neveu Philippe IV ; celui-ci avait fait savoir à sa tante qu’il négociait une ligue entre les gendres de Marie de Médicis pour réclamer sa délivrance, mais que pour le moment il ne voulait pas s’engager plus avant. Le duc de Lorraine, qui se voyait déjà le beau-frère de Monsieur (celui-ci venait de lui demander la main de Marguerite de Vaudemont), qui levait des troupes et était prêt à entrer en campagne, fut peu satisfait de la prudente réserve de Philippe IV. Il chercha un moyen de compromettre et d’engager l’Espagne et n’en trouva pas de meilleur que de faire passer Marie de Médicis dans les Pays-Bas. Il n’y avait à cela qu’une difficulté, il fallait obtenir le consentement de l’infante Isabelle. Celle-ci demanda des instructions à Madrid ; mais la réponse devant être lente à venir, elle fit dire, après avoir pris l’avis de ses conseillers espagnols, qu’elle ferait à la reine mère dans les Pays-Bas l’accueil qui lui était dû.

Marie de Médicis hésitait : elle sentait bien qu’elle se perdrait en se jetant dans les bras de l’Espagne ; mais on parvint à lui persuader de chercher un asile dans une place forte du royaume. On détermina le chevalier de Vardes à lui ouvrir les portes de la Capelle. La reine mère, à minuit, couverte d’un voile, quitta ses appartemens, avec deux gentilshommes, une dame d’honneur et un aumônier. On raconta au concierge que la dame voilée était une fille d’honneur qui allait se marier secrètement dans un ermitage voisin. On trouva un carrosse, et l’on prit la route de la Capelle. A deux lieues de la ville, on rencontra le chevalier de Vardes tout en émoi, qui expliqua que son père le marquis de Vardes était arrivé à la Capelle le jour précédent, qu’il avait su que la place devait être livrée, qu’il s’était fait reconnaître de la garnison et avait fermé les portes.