Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’emparait de la confiance de Louis XIII ; les rapports s’aigrirent par degrés, la mésintelligence n’éclata que pendant l’année 1630, durant la campagne de Savoie. En vain Richelieu l’invite à venir voir le roi ; elle boude, elle médite sa ruine, pendant qu’il termine, à la gloire de la France, la guerre de la succession de Mantoue. Le moment devait venir où le roi serait obligé de choisir entre sa mère et le ministre ; cette crise inévitable est connue dans l’histoire sous le nom de la journée des dupes, bien qu’elle ait duré en réalité plusieurs jours. Nous ne raconterons point la scène fameuse du Luxembourg, quand la reine mère éclata enfin contre Richelieu, le voyage de Richelieu à Versailles, son explication avec Louis XIII, l’espèce de pacte qui fut conclu entre le cardinal et le roi. Ce moment est solennel dans l’histoire de France, car le cardinal avait des desseins qui ne pouvaient réussir si on ne l’armait d’une autorité incontestée ; pour obliger ses sujets à la fidélité, le roi dut promettre fidélité au plus grand de ses sujets. Il fut en somme esclave de sa parole ; il eut des murmures et des révoltes, souvent il se cabra, se déroba ; il tendit l’oreille aux calomnies, aux injures, aux moqueries des courtisans ; il eut des favoris comme pour se venger d’avoir un maître, mais je ne sais quel instinct droit et véritablement royal l’arrêta toujours à temps et lui rendit la vision claire de ses devoirs. Il voulait bien faire souffrir Richelieu, l’alarmer, l’inquiéter, il ne put jamais se résoudre à le perdre.

Jamais amant ne dépensa plus de temps et de ferveur auprès d’une maîtresse que Richelieu ne fut contraint de faire pour arracher son jeune roi à ceux qui le lui disputaient sans cesse. Après la journée des dupes, il lui écrit : « Je suis la plus fidèle créature, le plus passionné sujet et le plus zélé serviteur que jamais roy et maistre ait eu au monde. » Il ne mentait pas ; il aimait son roi d’une amour violente, il détestait tout ce qui pouvait le lui ravir. Après le coup d’état de la journée des dupes, il chercha pourtant d’abord à adoucir la reine mère ; il y employa le père Suffren, son confesseur, Bullion, ancien serviteur d’Henri IV, Rancé, longtemps secrétaire des commandemens de la reine ; il acheta bien cher et bien inutilement Le Goigneux et Puylaurens, les favoris de Gaston d’Orléans, dans l’espoir de tenir Monsieur tranquille. « Mon dict Monsieur aymera et affectionnera sincèrement ledict sieur cardinal, et ne consentira ny adhérera jamais en rien qui luy soit préjudiciable, mais l’assistera en toutes occasions, mesme auprès de la reine sa mère. » (Accord de Monsieur avec le roy, après la boutade de la reyne.) Monsieur, qui au lendemain de la journée des dupes avait promis « d’aimer, assister et protéger, selon les intentions du roy, M. le cardinal de Richelieu en tous temps, » alla, vers la fin de janvier 1631, trouver le cardinal et lui dit qu’il venait retirer la parole