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insupportables dont les scandales de la veille et les acteurs en renom faisaient tous les frais. Les malins ont fait remarquer qu’il ne parait jamais si épris de la campagne que lorsqu’il est retenu à la ville. C’est de Rome, un jour qu’il à subi toute sorte de sollicitations et d’ennuis, qu’il laisse échapper cette exclamation, où il a mis toute son âme : O rus, quando ego te aspiciam ! Il paraît se refroidir pour sa maisonnette quand il y arrive, et souvent il désire la quitter dès qu’il y est resté quelques semaines. C’est une inconstance dont il s’accuse humblement, mais dont il a grand’peine à se corriger. « Plus léger que le vent, dit-il, je désire être à Tibur quand je suis à Rome, et je regrette Rome quand je suis à Tibur. » voilà bien le mondain impénitent, qui s’est cru guéri parce qu’il a éprouvé un moment de dépit contre ces plaisirs qui l’enchantent, et qui ne tarde pas à reprendre son ancien joug quand sa mauvaise humeur est passée. Ce n’est que vers la fin de sa vie que sa conversion fut complète. Il en vint alors à aimer beaucoup plus la campagne que ses meilleurs amis ne l’auraient voulu. Pour elle, il manquait de parole même à Mécène, et, après lui avoir promis de n’être absent que quelques jours, il se faisait attendre des mois entiers.

L’histoire d’Horace devait être celle de beaucoup de Romains de son temps ; il n’en manquait pas qui, comme lui, devenaient de grands amis de la campagne pour avoir été trop amis de la ville : ces contrastes et ces retours ne sont pas rares chez les gens qui prennent tout avec passion. Quand la fatigue et l’ennui les chassaient de Rome, ils erraient d’abord autour de la grande ville, qu’ils osaient à peine perdre de vue. Ils voulaient s’éloigner d’elle le moins possible, ils se bâtissaient des maisons de plaisance tout près des portes, le long des grands chemins, sur les deux rives du Tibre. Mais ils s’apercevaient bientôt que ces villas et ces jardins qui coûtaient si cher ne les préservaient pas des importuns. La ville, qu’ils voulaient fuir, venait les y retrouver. Les pauvres gens suivent toujours à leur façon l’exemple des riches ; Rome aussi leur était pesante, et ils n’y voulaient pas rester toujours. Les jours de fête, toute une population misérable se précipitait dans les auberges des faubourgs, le long du fleuve, dans les bois sacrés, autour des temples. Ils dansaient « chacun avec sa chacune, » dit Ovide ; ils dînaient en plein air ou sous des tentes de feuillage. C’était un voisinage bruyant, incommode, et il n’était guère plus aisé d’être tranquille aux environs de Rome qu’à Rome même. On était donc forcé d’aller plus loin, à Tusculum, à Préneste, à Tibur, et, quand ces lieux, voisins de la ville et devenus, trop à la mode, furent à leur tour trop fréquentés, et qu’on n’y trouva plus le calme et le recueillement